Humain / inhumain

(Édito de Fili 43 « Humain / inhumain)

L’inhumain hante l’humain.
Face à l’humain, il manœuvre.

On voudrait croire que les mots contribuent à dresser les limites à ne pas franchir, concourent à identifier ce contre quoi nos énergies sont à mobiliser. Immergés que nous sommes dans notre humanité, il semble en notre pouvoir, grâce à l’écriture, de prendre la mesure de toute l’expérience élaborée au cours des âges, de mettre à distance, de tirer des leçons.

Or ce siècle, comme aucun autre auparavant, a pratiqué l’éloquente perfidie, la duplicité des mots, la folie des concepts destructeurs, les discours préparant et légitimant haine, déportations, exterminations, et pourtant c’est le nôtre ! Cette langue, capable de tuer, est la face honteuse de la nôtre ! Notre seule riposte est de nous expliquer avec elle, d’en interroger les usages, sans fin.

Sous couvert de littérature, des tabous sont, ici et là, allègrement franchis. Au nom du plaisir ou de l’innocence du jeu, il nous arrive de nous aveugler. Sous prétexte de dénoncer, nous risquons de banaliser. Même si nous savons que la ligne de partage est ailleurs que dans les mots, notre vigilance est requise, et ce, vis-à-vis de l’écriture d’abord.

Alors, ne plus écrire ? Non, mais écrire pour ajouter de l’humain à l’humain, pour déchirer l’ombre, pour rendre lisible ce qui nous fait avancer. Avec la convic–tion que cela est possible. Avec l’immodestie de pré–tendre que l’écrit recevable est celui qui élargit notre monde, le façonne et le complexifie.

Écrivons l’inouï de nos désirs, de nos rêves, de nos peurs. Faisons connaître le travail des “hommes du commun à l’ouvrage”, pourvu que l’écrit affirme ce qui est chargé de sens et de valeurs, l’absolu auquel nous aspirons, la relativité de nos ouvrages l’hu–main, opposé à la barbarie, à l’indifférence, à la bru–talité des forces malfaisantes.

De texte en texte se décline la façon dont s’organise, par l’écriture, le champ de l’humain. Ici, un témoignage ; là, une indignation ; ailleurs, un silence si fort qu’il fait violence.

Odette et Michel Neumayer
Carnoux, le 4 avril 1999