La nuit venue

La nuit venue

(MN. paru dans Filigranes 104, Pas de danses)

« N’entendez-vous donc rien ? N’entendez-vous donc pas (…) cette voix qu’on appelle d’ordinaire le silence ? » Georg Büchner*

 

Les fantômes qui traversent nos jours sont invisibles, égarés parfois, certains si blancs,
si pâles. À pas feutrés ils dansent à nos côtés là où se croisent les mondes.
Ce sont fragments d’opacité égarés à la lumière.
Ils nous côtoient et nous ne les voyons pas.

Vers le soir ils nous reviennent. Quand le jour s’en va. Quand jaillie de nos boites à musique, de nos écrans, des pages que nos yeux sillonnent, leur présence nous envahit. Quand leur souffle nous surprend. Quand leur piqûre mélancolique et douce nous aiguillonne. Quand vivre en vérité vaut. Quand, en leur compagnie vers l’autre scène, nous-mêmes pleins d’espoirs, nous avançons…

Alors, pour notre grand bonheur, ils piquent vers le sol, l’effleurent et redécollent.
D’ouate et de satin rose, de jambe fine, ils sont. Ils se font rubans attachés aux chevilles, polychromes phylactères, signes échappés de quelle mémoire,
surgis on ne sait d’où, virevoltant tout autour.

Ils se font sarabande. Ils emplissent l’espace, font frissonner les plis et les tentures
où nous nous préservions. Ils ressoudent. Ils rouvrent à nos mémoires des pages
offertes au désir. Flux et reflux.

Ils froissent et défroissent les paroles où, il y a peu encore, nous nous croyions.
Leurs voiles gonflent. La houle monte. C’est charivari que cela, où s’accommode
ce qui va puis vient, ce qui voyage et puis repart.

Ils sont femmes, ils sont hommes, ils sont enfants, ils sont l’incomplétude en nous
par la nuit fécondée.

 

 

et c’est ton image mère qui s’est tue
c’est toi mon enfant né ce jour entre les roses
ce sont mes bras où je te tiens

et c’est un lac de Bavière sombre et si beau,
c’est ton regard femme sur ma peau et moi
qui tremble au soleil d’été
c’est le deux en nous comme une clef,
comme un trèfle qui attend

et c’est un vaste étang tout près de la mer et
l’annonce d’un départ

c’est un train dans la nuit
c’est un visage fendu dans le matin blême

c’est l’éphémère
c’est ton image dans l’eau ce matin sur le chemin des collines,
c’est son miroitement furtif

ce sont les voix perdues, elles ne sont plus les vôtres
ce sont tant d’airs chansons et ritournelles où je m’abreuve
tant de langues où dans l’insu je me perds

là où rouillent et s’éraillent et renaissent
toutes nos joies, toutes nos peines

c’est le frisson qui me pénètre
où je t’ai déposée
c’est l’amie si chère qui nous relie,
son visage et son rire

ce sont des fils qui se croisent,
c’est le mélange des peaux où nous sommes faisceau
c’est l’archipel où, d’île en île, nous naviguons

c’est…

(MN. paru dans Filigranes 104, Pas de danses)
www.filigraneslarevue.fr

3 septembre 2019

accompagné de ce  poème d’Eugène Guillevic
que Marie-Christiane Raygot (Filigranes) nous offre ce soir

 

Je t’ai cherchée
Dans la rosée abandonnée.

Je t’ai cherchée
là où rien n’interroge.

Je t’ai cherchée
Dans le chant du merle
Qui dit le passé parmi l’avenir
Dans l’espace qu’il veut bâtir
Dans la lumière et les roseaux
Près des étangs où rien ne s’oublie.
C’est dans mes joies
Que je t’ai trouvée.
Ensemble nous avons
Fait s’épaissir le soir
Et dorloté des corps
Impatients de servir.

 

E.G

 

3 septembre 2015 (4)

Pour Odette
tant de messages, de poèmes, de musiques
ce jour de septembre, de toutes parts venus

ainsi tressons-nous à notre tour
comme une
bibliothèque dans les nuages

 (extraits des textes reçus)

Odette,
En face de moi, la mer
immense et paisible, qui se repose de l’été.
Le bleu est vert
l’eau est vert d’eau.
Je suis libre et sereine.
Tu le sais, tu fais partie des quelques personnes autour de moi ,qui m’ont amenée jusqu’ici.
Je suis libre et sereine.
Libre d’être là , maintenant, telle que je suis.
Là et maintenant.
La mer immense comme le monde.

Marianne

____

« Cara Odette, grazie per essere passata nella mia vita! Il tuo ricordo è sempre presente nei miei pensieri e cercherò di portare avanti un pezzetto delle tue idee e delle tue convinzioni sulla grande rivoluzione che può portare la diffusione dei valori dell’ E.N. So che sei vicino a tutti noi e spero che tu possa aiutaci nel nostro cammino!  Questa favola filosofica « Quel che c’è da capire » è per te.
Con infinito affetto. Cristina »

Alice capisce tutto quel che c’è da capire. Quel che c’è da capire, dicevano i grandi, è in una grossa pentola, di quelle in cui si scalda l’acqua  per  la pasta; solo che questa pentola non si può più usarla per scaldare l’acqua perché qualcuno ha avuto la bella idea di metterci dentro quel che c’è da capire. Così i grandi l’hanno nascosta in cantina, in mezzo a tane cianfrusaglie, e perché quel che c’è da capire non esca fuori e si disperda ai quattro venti l’hanno sigillata ermeticamente con del nastro adesivo e sopra ci hanno messo un ferro da stiro, una chiave inglese e un’incudine – oggetti pesanti, insomma, per tenere il contenuto al sicuro.

Alice, perciò, non si è fatta scoraggiare dalle loro precauzioni ed è andata a cercare la pentola. La cosa più difficile per lei è stata scendere in cantina: la scala è stretta e buia, e in fondo bisogna girare un angolo, e mentre si scende si ha l’impressione che dietro quell’angolo ci sia qualcosa di orribile, uno di quei mostri di cui parlano le favole – le  favole finte, voglio dire, quelle scritte per imbrogliarci e spaventarci. Prima o poi, stringendo forte i denti e chiudendo gli occhi, Alice è arrivata in fondo alla scala; e quando ci è riuscita ha subito voluto riprovarci, e ha riprovato e ancora e ancora, finché poteva farlo canticchiando e saltando i gradini a due a due. Superato l’ostacolo della scala, il resto è venuto liscio come l’olio: la porta della cantina non è chiusa a chiave, la pentola è lì in bella vista  gli oggetti pesanti che ci sono sopra non occorre sollevarli. Basta inclinare la pentola e cadono di lato; allora si tratta solo di togliere il nastro adesivo e alzare il coperchio.

Alice ha compiuto questa operazione più volte. La prima volta è rimasta sorpresa, perché nella pentola non ha trovato nulla. Ha pensato che fosse l’ora sbagliata: che forse le cose si capiscono di sera, o di notte, o la mattina molto presto quando è già chiaro ma non è comparso il sole. Così è tornata, di sera, di notte, di mattina molto presto, muovendosi circospetta con i suoi piedini leggeri per non svegliare nessuno;  ma la pentola era sempre vuota. Per un po’ Alice  rimasta delusa, e si è anche preoccupata. “Sta a vedere” pensava “che aprendo la pentola ho lasciato ve ir fuori tutto quel che c’è da capire, e ora si è disperso ai quattro venti e nessuno lo troverà più”. “Ma no” si rispondeva poi  “ci sono stata bene attenta. Non ho visto niente che usciva. E, se non ho visto niente, che cosa c’era da capire?”

Alla fine, Alice ha capito. Ha capito che i grandi avevano torto: quel che c’è da capire non si mette in una pentola, non si nasconde in cantina, perché non può venirci da fuori, non può esserci dato da un altro. Ha capito che  si capisce solo quel che abbiamo dentro, e se lo capiamo bene possiamo farlo venire fuori, e costruirci case e ponti e automobili e trattori; ma, se non capiamo quel che abbiamo dentro, fuori non c’è niente da capire.

Quando ha capito, Alice ha chiuso la pentola con il nastro adesivo e faticosamente ci ha rimesso sopra l ferro d stirare, la chiave inglese e l’incudine. Da allora passa molto tempo nella sua camera, a capire quel che ha dentro; poi esce e con quel che ha capito cambia il mondo.

Ermanno Bencivenga, La filosofia in sessantadue favole

Cristina

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Je suis entré dans votre famille en juillet 1980 et j’ai ressenti ton énergie et ta force immédiatement. Toute entière au service de l’amour du français, langue et écriture, bonheur de partager cette langue avec tous, de l’offrir comme une flamme à ceux qui en manquent le plus.
Tu es de la même trempe que mes premiers instituteurs et professeurs qui m’ont greffé et insufflé cet amour. Viatique formidable, vivant et sacré pour entrer de plein pied dans la citoyenneté française et communier aux valeurs de la liberté, égalité et fraternité.
La fusion de votre amour a irradié comme un soleil votre travail de grands serviteurs de l’école française dans ce qu’elle a de plus beau et légitime. Merci à vous qui avaient distribué ensemble cette manne du coeur et de la langue si généreusement. Odette tu nous manques ! Nous essayons de nous montrer digne de toi, citoyens du monde !

Athanas
devenu pleinement français grâce à vous

_______

Sous l’histoire, la mémoire et l’oubli
Sous la mémoire et l’oubli, la vie.
Mais écrire sa vie est une autre histoire.
Inachèvement.

Paul Ricœur,  La mémoire, l’histoire, l’oubli

j'écris dans l'air pour Odette_NEWFiligranes N°90
une page augmentée (Jean-Jacques Dorio)
juillet 2015

Jean-Jacques

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La soirée de décembre

Amis pleins de rumeurs où êtes-vous ce soir
Dans quel coin de ma vie longtemps désaffecté ?
Oh ! je voudrais pouvoir sans bruit vous faire entendre
Ce minutieux mouvement d’herbe de mes mains
Cherchant vos mains parmi l’opaque sous l’eau plate
D’une journée, le long des rives du destin ! (…)

René-Guy Cadou, In Œuvres poétiques complètes, © éd. Seghers

 

Vous aviez tendu à notre solitude de vos mains bienveillantes
Quand nous marchions dans le brouillard des jours.
Nous cherchons vos visages dans la nasse des nuages,
Votre ferveur à être au monde dans les raies du soleil
Au-dessus des cimes. Vous vaquerez, souvenirs, dans la luminescence
Comme des voiliers sur la mer océane.
La main que vous avez tendue vers nous, ces jours passés,
Est l’aiguille de notre boussole.
Elle donne pour ici et ailleurs
le cap de la Bonne-Espérance…

Anne-Marie

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Merci à vous, parents, enfants et petits-enfants,
ami(e)s d’Odette

Hommage à toutes les langues du monde qui,
se souvenant de celles et ceux qui nous ont quittés
donnent forme à notre commune humanité

Merci, شكرا, Danke, Grazie, благодарю, Gracias, תודה

M.

3 septembre 2015 (3)

Pour Odette
tant de messages, de poèmes, de musiques
ce jour de septembre, de toutes parts venus

ainsi tressons-nous à notre tour
comme une
bibliothèque dans les nuages

 (extraits des textes reçus)

Les rêves dont devenus des visages habités par le temps
L’amour a jeté l’ancre
C’est sur son épaule que tu t’appuies
C’est son regard qui te porte au-delà des murs
Il t’arrache aux trous noirs
Où l’utopie s’éteint
Il file les couleurs en écheveaux serrés
Dans le noir brillant de l’encre
Il piège la lumière
Dans le temps qui infuse à travers  nos mémoires
Les mots qu’il a offerts sont terre hospitalière.

Michèle

 

_______

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Quand le bruit des bois tarit dans nos corps
Étonnés nous lisons cette aile de terre
Rouge, à l’ancrée de l’ombre et du silence
Nous veillons à cueillir en la fleur d’agave
La brûlure d’eau où nous posons les mains
Toi plus lointaine que l’acoma fou de lumière
Dans les bois où il acclame tout soleil et moi
Qui sans répit m’acharne de ce vent
Où j’ai conduit le passé farouche.

Edouard Glissant, Pays révé, pays réel

Christian et Marie-Claude

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Chut, plus de bruit…

Cette comptine que tu m’as apprise,
Odette ma sœurette,
À Naama, sera transmise,
Grâce à toi, le temps n’a pas de prise
Et ce n’est que partie remise…

Cathy

 

_______

Écume de la terre dans son effort constant
De dire sa vie muette
Des reliefs ressortent chaque matin
Chaque soir des nouveaux paysages
Terre illuminée, repeinte

Teresa

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Capture d’écran 2015-09-06 à 10.11.10

Osfour, chanson de Marcel Khalifè

et sa traduction :
Un oiseau

Un oiseau se tint à la fenêtre et me dit ‘Ô petit(e)’
Cache-moi avec toi, cache-moi je vous en prie Ô petit(e)’
Je lui ai dit ‘d’où es-tu ?’. Il me dit ‘des limites du ciel’
Je lui ai dit ‘d’où viens-tu ?’. Il me dit ‘de la maison du voisin’
Je lui ai dit ‘de qui as-tu peur?’. Il me dit ‘de la cage à corbeau’
Je lui ai dit ‘où sont tes plumes?’. Il me dit ‘le temps les a emportés’
Un oiseau se tint à la fenêtre et me dit ‘Ô petit(e)’
Cache-moi avec toi, cache-moi je vous en prie Ô petit(e)’

Une larme coula sur sa joue et ses ailes se replièrent sur elles-mêmes
Il atterrit sur le sol et dit : ‘je veux marcher mais je ne peux pas
Je l’ai pris sur mon cœur, ses blessures me faisaient mal
Avant d’avoir éclaté sa prison, sa voix et ses ailes se brisèrent
Je lui ai dit ‘d’où es-tu ?’. Il me dit ‘des limites du ciel’
Je lui ai dit ‘d’où viens-tu ?’. Il me dit ‘de la maison du voisin’
Je lui ai dit ‘de qui as-tu peur?’. Il me dit ‘de la cage à corbeau’
Je lui ai dit ‘où sont tes plumes?’. Il me dit ‘le temps les a emporté’

Je lui dis, n’ais pas peur, regarde, le soleil se lève
Il regardât vers la forêt et vu une marrée de paillettes de liberté
Il vit flotter les ailes des oiseaux au-delà des hautes portes
Il a vu la forêt de vol. Sur les ailes de la liberté.
Je lui ai dit ‘d’où es-tu ?’. Il me dit ‘des limites du ciel’
Je lui ai dit ‘d’où viens-tu ?’. Il me dit ‘de la maison du voisin’
Je lui ai dit ‘de qui as-tu peur?’. Il me dit ‘de la cage à corbeau’
Je lui ai dit ‘où sont tes plumes?’. Il me dit ‘le temps les a emportés’
Un oiseau se tint à la fenêtre et me dit ‘Ô petit(e)’
Cache-moi avec toi, cache-moi je vous en prie Ô petit(e)’

Mahmoud Darwich se demande s’il est un ciel derrière le ciel, où partent les oiseaux après le dernier ciel et comment écrire au-dessus des nuages le legs des siens. Il sait que d’un ciel à l’autre, passent les rêveurs. Il aime les nuages qui imitent une volée de créatures et cherche parfois un ciel moins élevé. Un nuage dans sa main l’a blessé mais il n’oublie pas de nous engager à danser au firmament des mots.

Natalie

 

 

______

Cheminer

Dans la forêt des mots
Il sculpta son langage
Sa mémoire s’allongea
Au-delà du passé

Dans l’océan des signes
Il puisa ses images
Sa vision s’ajusta
Au rythme des cités

Dans le spectacle des choses
Il creusa son sillage
L’instant ensemença
Les dunes d’éternité.

Andrée Chedid, Rythmes

album[1]

Jeannine

 

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Pas de mode d’emploi ni de consignes.
Juste quelques propositions :

Cliquer sur ce lien, fermer les yeux, monter un peu le son (… mais pas trop), incliner la tête en direction du Sud, imaginer que l’on est par exemple sur cette terrasse de Carnoux que nous connaissons tous…, respirer l’odeur des pins…, écouter…

… et revoir ce sourire malicieux sur les lèvres d’Odette qui se rappelle de ce pays qu’elle affectionnait tant.

Capture d’écran 2015-09-06 à 10.40.38Souad Massi – Raoui (vost)

Sylvain

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« LIBER » : partie vive de l’écorce où circule la sève qui nourrit – durablement – l’arbre FILIGRANES.

Par delà l’absence qui m’est douleur, et bien davantage loin de vous tous, je te dédie, Odette, ce mot majuscule, toi qui m’as accueilli d’un franc sourire à rejoindre votre précieuse Revue d’écriture(s).

« LIBER », LIBRE et LIVRE. Tout toi, chère Odette ! dans la joie comme l’adversité.
A m’unir, dans l’émotion de ce rassemblement d’amitié (où les mots d’eux mêmes finissent par se taire).

Claude

_____

Aux limites de l’invisible
Et de l’impalpable,
Mon cœur, dans sa double cécité,
Entend comme un écho lumineux
A ses propres battements :
Une présence qui te ressemble,
Qui, de ses milliers d’yeux solaires
Et de ses multiples mains azurées,
Participe à la magie de mon histoire ;
car, à ta façon, tu es là
Et, n’en finissant pas d’exister,
Tu résistes au néant des ténèbres sans fond
Par cette place que je te garde
Au creux de ma tendresse sereine
Qui sait qu’elle a besoin de toi
Et se nourrit du souvenir éblouissant de tes sourires
Et se repaît de cet élan émerveillé
Qui te poussait toujours vers le simple et le pur
Dans la beauté sauvage ou puérile
Que la faune et la flore semaient sur ton chemin.

Jean-Jacques M.

 

______

Poème semé

Dans ta verticalité , ton regard bousculant les paraîtres,
Une invitation naissait          simple
Oser ce pas vers notre harmonie intime
Réveiller la vie
Franchir par des ponts de mots les vides
Construire  une arche
Un chemin secret…            sacré
Où quelque fois ensemble nous nous sommes égarés
Rêveurs, un instant             songeurs à tout bout de champ
Hors du temps reliant les quatre horizons
Un phare guide nos pas
Gardiens de la flamme
Nous avançons encore
Réunis par cet élan semé

Pour toi, pour nous
Olivier et Yvette

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Odette,

Comme
Une
Libératrice
Tentaculaire
Une
Rayonnante
Educatrice

Délicieusement
Exigeante

Puissante
Animatrice
Inspiratrice
Xénophile

Ô, CULTURE DE PAIX

Denis

 

________

Ma chère Tatie, à 14 ans j’ai appris “Roman” sur tes conseils (…)
c’est avec toujours le cœur en joie et émue
que je me récite “Roman” et les autres…

Roman

I

On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
– Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
– On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits – la ville n’est pas loin –
A des parfums de vigne et des parfums de bière…

II

– Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon
D’azur sombre, encadré d’une petite branche,
Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche…

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête…
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête…

III

Le cœur fou robinsonne à travers les romans,
– Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l’ombre du faux col effrayant de son père…

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif…
– Sur vos lèvres alors meurent les cavatines…

IV

Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août.
Vous êtes amoureux. – Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût.
– Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire !…

– Ce soir-là…, – vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade…
– On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.

Arthur Rimbaud, Poésie

Mathilde

______

ferme la porte de la classe
doucement sans faire de bruit
et pars dans le grand espace de la vie.

emporte dans tes bagages
les jolis moments de la classe des grands
et tout au long de ton voyage
n oublie jamais d être un enfant

Marie
(Un poème que j’offre à mes élèves, ton sourire entre les mots)

 

________

Hier à l’Aube

Hier, à l’aube, à l’heure où ronronnait Aubagne,
Tu es partie. Vois nous, qui sommes tes enfants,
Nous allons sur les textes, les dessins, les chansons.
Jamais loin de l’école, au pied du Garlaban.

Nous marcherons ensemble guidés par nos idées,
Nous avancerons toujours, nous aidant dans la nuit.
Ensembles, fiers et droits, et nos mains pour créer,
Forts, imaginons demain, nous ne sommes qu’écrit.

Nous laisserons sur ta tombe, des bouquets de cailloux,
Nous y mettrons des voiles pour traverser nos peurs.
Quand viendra Le Grand soir, nous mettrons à nos cous
ton foulard de soie rouge, ce sera le bonheur.

Ni&Jo (&VH)

_______

Lettre matinale à Odette

Plus d’ordinateur, me voilà réduite, pauvre glaneuse appliquée, à écrire d’une main devenue maladroite, les mots d’esprit, les trouvailles de lecture, ces petites étoiles de la pensée qui me donnent faim de vivre.  Cela m’enrage mais je continue à lire Frédéric Blanc comme on se baigne à la rivière. Alors je te le confie : « mais à quoi ça sert d’écrire ? »

Écrire ne sert à rien mais se taire est encore pire.
Pourquoi as-tu choisi de te taire, Odette ?

C’est une question que je me pose parce que M. nous a demandé de nous souvenir de toi, ce 3 septembre. Donne-moi un peu d’imagination, j’en manque. Je la cherche ailleurs dans ces petites phrases d’Henri Frédéric Blanc par exemple quand il égratigne l’utopie, cette étoile plus grosse que les autres que tu partageais avec nous, ce futur qui nous questionne où tu es peut-être.

Il dit une chose qui fait trembler la vérité : « Le futur, il sent un peu la friture, le futur. Il faudrait l’enjamber sans se brûler les fesses. Y revenir après l’avenir, histoire de ne pas arriver trop tard ».

Même si, en bonne humaine qu’il te fallait être, ton passé « te conduisait à la crèche » – c’est aussi une belle formule de cet auteur – tu l’auras tenté l’avenir et tu m’auras permis d’être vivante quelques temps dans le sourire de Filigranes, pour conjurer notre histoire comme des humains sans rien savoir. Ce matin, tu me reviens comme ça, après l’avenir, et mon café a plus de goût.

Arlette

 

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3 septembre 2015 (2)

Pour Odette
tant de messages, de poèmes, de musiques
ce jour de septembre, de toutes parts venus

ainsi tressons-nous à notre tour
comme une
bibliothèque dans les nuages

 (extraits des textes reçus)

La liste de toutes les choses qui me restent :
regard, sourire, mouvement, timbre de voix, parfum, un foulard qui virevolte…
dit aussi  la cruelle fugacité des images qui échappent toujours.

Les mots aussi demeurent en-deçà de l’impression, en-deçà de ce qui s’est imprimé en moi : message de vie plein de pépites à extraire, énergie de l’espoir à libérer.

La porte n’est jamais fermée, si cette énergie continue de palpiter.

Monique

______

IMG_3106Kathy

______

 

A Odette l’assembleuse de mots,  ce texte que j’adore et que vous m’avez fait découvrir quand j’ai débuté. Chaque fois que je l’écris ou que je le dis, je pense à vous deux…

J’ai vu le menuisier
Tirer parti du bois.

J’ai vu le menuisier
Comparer plusieurs planches.

J’ai vu le menuisier
Caresser la plus belle.

J’ai vu le menuisier
Approcher le rabot.

J’ai vu le menuisier
Donner la juste forme.

Tu chantais, menuisier,
En assemblant l’armoire.

Je garde ton image
Avec l’odeur du bois.

Moi, j’assemble des mots
Et c’est un peu pareil.

Eugène Guillevic, Poèmes

Steph

 

______

À toi ma petite soeur de Provence
À toi cette chanson de mon frère Pierre Alain,
que tu avais su lire comme personne d’autre
Il chante pour toi Territet, petit port au bord du lac Léman.

En contemplant le lac
Du port de Territet
Une douceur m’embarque
loin de tous les excès
(…)
De ce si bel l’automne
Aux rires du soleil
Trois pétales de rose
Comment un signe du ciel
Tout doucement se posent.

Mon pays tout petit
Sous le regard de France
Par le chemin fleuri
Je cherche l’espérance

(…)
(Texte et musique : Pierre-Alain)

Etiennette

______

Capture d’écran 2015-09-06 à 00.14.45extrait du Requiem allemand (Brahms)

C’était l’aube
à tes yeux infinis
lorsque tu t’es dressée pour la Rencontre
ta mémoire mobilisée
femme et combattante
Ta passion était née
ardente fiancée en transes de don
C’est alors que nous nous sommes tous mis
à t’appeler
Camarade
C’est doux ce petit mot ondin
qui court comme un ruisselet de caresses
et nous épaule les uns contre les autres
alors que nous avons banni nos vieilles identités

Saidi Menebhi

Natalie

______

A toi qui me fus lumière, ces quelques mots du poète…

« Trois respirations »
Il existe un printemps inouï éparpillé parmi les saisons et jusque sous les aisselles de la mort. Devenons la chaleur : nous porterons ses yeux.
La parole soulève plus de terre que le fossoyeur ne le peut.
Nous ne serons jamais assez attentifs aux attitudes, à la cruauté, aux convulsions, aux inventions, aux blessures, à la beauté, aux jeux de cet enfant vivant près de nous avec ses trois mains, et qui se nomme le présent. »
(René Char, Recherche de la base et du sommet)

Chantal

 

______

IMG_8212

Un oiseau provençal est venu s’installer chez nous, en brabant wallon. Il s’est envolé ce matin et son chant flûté et intense résonne dans la sablière.
Une seule lettre vous manque et tout est épeuplé.

Alain

______

Tu perces les nuages pour rester une belle étoile qui scintille pour nous chaque jour.

« Je sens que je perds de la matière, que mes résistances physiques tombent et que je me dissous dans l’harmonie et la montée de mélodies intérieures. Une sensation diffuse, un sentiment ineffable me réduisent à une somme indéterminée de vibrations intimes et de sonorités envoûtantes. »
E.Cioran

Myriam

 

_____

« Je reconnais, je connais toutes choses, moi-même reconnu, salué, dans la lumière où joue le rouge-gorge orange et gris comme une fausse feuille morte. Il s’approche, s’éloigne vers son arbre au nom retrouvé, revient, me suit, me cerne, m’accompagne du vol et du chant (cette grappe, égrenée sans fin, de prière et de rire) jusqu’au seuil usé entre ses buissons de lauriers-roses, le seuil des retrouvailles, ô mère, où toute parole dans l’ineffable clarté se défait comme une vaine écume. »

Gustave ROUD, Requiem (extrait)

Agnès

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Offrande à Odette qui nous accompagne en tout instant

Le chant Haka

Debout enraciné, je balance mes mains puis les bras autour de moi et doucement je sens la présence de ceux qui m’ont quitté…

Puis je tourne dans un sens et dans l’autre de manière à embrasser toute la terre et tous les humains qui vivent sur cette terre, la Terre dont nous sommes tous nés donc où nous sommes enracinés.

Nos bras et nos mains s’ouvrent, remontent vers notre cœur et frôlent notre tête, nos cheveux et nous déversons un flot de lumière et d’amour, comme une grande cascade qui voudrait nous inonder.

Nous allons puiser à la source de notre vie, la Terre, notre corps, notre visage qui offre un sourire de joie à tous ceux qui nous ont quittés, à toi Odette.

Enfin nous pouvons leur dire, lui dire, un grand merci et les accueillir dans nos bras comme un grand bouquet de fleur qu’on serre sur notre cœur.

Claude

_________

jean_malrieu1

Ne serait-ce qu’une fois, si tu parlas de liberté,
Tes lèvres, pour l’avoir connue, en ont gardé le goût du sel,
Je t’en prie,
Par tous les mots qui ont approché l’espoir et qui tressaillent,
Sois celui qui marche sur la mer.
Donne-nous l’orage de demain.

Les hommes meurent sans connaître la joie.
Les pierres au gré des routes attendent la lévitation.

Si le bonheur n’est pas au monde nous partirons à sa rencontre.
Nous avons pour l’apprivoiser les merveilleux manteaux de l’incendie.

Si ta vie s’endort,
Risque-la.

Jean Malrieu (1915-1976), Préface à l’amour (1953)

Michel
(De ce poème, LES deux premiers vers
tout particulièrement, que tu citais si souvent…)

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3 septembre 2015 (1)

« Nous creusons une tombe dans les airs
Wir schauffeln ein Grab in den Lüften
on n’y est pas couché à l’étroit
da liegt man nicht eng »
Paul Celan « Todesfuge »

Pour Odette
tant de messages, de poèmes, de musiques
ce jour de septembre, de toutes parts venus

ainsi tressons-nous à notre tour
comme une
bibliothèque dans les nuages

 (extraits des textes reçus)

XXXVII

¿Dices que nada se crea?      Tu dis que rien ne se crée ?
No te importe, con el barro     Ne t’en soucie pas, de l’argile
de la tierra, haz una copa       de la terre fais un bol
para que beba tu hermano.    pour faire boire ton frère.

XXXVIII
¿Dices que nada se crea?      Tu dis que rien ne se crée ?
Alfarero, a tus cacharros.        Potier, retourne à tes pots.
Haz tu copa y no te importe    Fais ton bol et ne te mets pas en souci
si no puedes hacer barro.        si tu ne peux faire de l’argile.

Antonio Machado. Proverbios y Cantares Campos de Castilla (1907-1917)

Maria-Alice

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Capture d’écran 2015-09-05 à 23.40.05La mauvaise réputation (Georges Brassens)

Gérard

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Je continuerai de chanter !
Les Oiseaux me dépasseront
Allant vers des Climats plus lumineusement Jaunes –
Chacun – avec une attente de Grive –
Moi – avec mon Rouge-gorge –
Et mes Poèmes –
[…]
Emily Dickinson, Poésies complètes
(1861), traduction Françoise Delphy, édition bilingue, Flammarion, 2009.

 Gislaine

 

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Capture d’écran 2015-09-05 à 23.31.49Los libertadores (Canto general, Mikis Theodorakis & Pablo Neruda)

Les libérateurs

Voici l’arbre,
l’arbre de la tempête,
l’arbre du peuple.
Ses héros montent de la terre
comme les feuilles sortent de la sève,
et le vent étoile les feuillages,
foule bruyante,
jusqu’à ce que retombe en terre
la semence du pain.

Voici l’arbre,
l’arbre nourri de morts nus,
de morts flagellés, de morts déchirés,
de morts aux visages insupportables
empalés sur une lance,
pulvérisés par le bûcher,
décapités par la hache,
écartelés par le cheval,
crucifiés dans l’église.

Voici l’arbre,
l’arbre dont les racines sont vivantes,
il changea en salpêtre le sang des martyrs,
ses racines mangèrent du sang,
il fit sortir des larmes du sol :
il les fit monter par ses ramures,
il les répandit dans son architecture.
Elles furent des fleurs invisibles,
parfois des fleurs enterrées,
d’autrefois des fleurs qui firent briller leurs pétales
comme des planètes.

Et l’homme cueillit sur les branches
les corolles durcies,
il les donna, de main en main,
comme s’il s’agissait de magnolias ou de grenades
et aussitôt, elles ouvrirent la terre
et grandirent jusqu’aux étoiles.

Pablo Neruda, Chant général (extraits)

Capture d’écran 2015-09-05 à 23.29.42Voy vivir (Canto general, Mikis Theodorakis & Pablo Neruda)

Je veux vivre
Je ne vais pas mourir. 
Je pars en ce jour rempli de volcans 
vers l’homme en foule, vers la vie.

 J’ai tout réglé. Je laisse tout en ordre.

 Maintenant que se pavanent les bandits 
avec la « culture occidentale » à pleins bras, 
avec des mains qui tuent en Espagne
 et des gibets qui se balancent sur Athènes 
et la honte qui gouverne le Chili. 
Mais je cesse de conter.
Me voici, 
avec des mots, des peuples, des chemins 
qui à nouveau m’attendent, des constellations de mains qui frappent à ma porte.

Pablo Neruda, Chant général

Noëlle

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Suspendue dans le firmament,
La belle lune ensoleillée,
Dans une lueur argentée,
Me montra tous ses continents
Immenses, sombres et mystérieux,
Au-dessus des nuages bleus.
Les vois-tu, toi aussi ?
Et notre mer, en sursis,
Et nos forêts, sous les pluies
Grises, acides et amères,
Et tous les enfants de la Terre…
Entends-tu, ma très chère Amie,
Tous nos chants qui toujours espèrent?

Valérie

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« PARLEZ NOUS DE LA MORT… »
Alors Almira parla, disant : nous voudrions maintenant vous questionner sur la mort. Et il dit : Vous voudriez connaître le secret de la mort. Mais comment le trouverez-vous sinon en le cherchant dans le cœur de la vie ? La chouette dont les yeux faits pour la nuit sont aveugles au jour ne peut dévoiler le mystère de la lumière.
Si vous voulez vraiment contempler l’esprit de la mort, ouvrez amplement votre cœur au corps de la vie. Car la vie et la mort sont un, de même que le fleuve et l’océan sont un.
Dans la profondeur de vos espoirs et de vos désirs repose votre silencieuse connaissance de l’au-delà. Et tels des grains rêvant sous la neige, votre cœur rêve au printemps.
Fiez-vous aux rêves, car en eux est cachée la porte de l’éternité. Votre peur de la mort n’est que le frisson du berger lorsqu’il se tient devant le roi dont la main va se poser sur lui pour l’honorer. Le berger ne se réjouit-il pas sous son tremblement, de ce qu’il portera l’insigne du roi ? Pourtant n’est-il pas plus conscient de son tremblement ? Car qu’est-ce que mourir sinon se tenir nu dans le vent et se fondre au soleil. Et qu’est-ce que cesser de respirer, sinon libérer le souffle de ses marées inquiètes, pour qu’il puisse s’élever et se dilater et rechercher Dieu sans entraves ?
C’est seulement lorsque vous boirez à la rivière du silence que vous chanterez vraiment. Et quand vous aurez atteint le sommet de la montagne, vous commencerez enfin à monter. Et lorsque la terre réclamera vos membres, alors vous danserez vraiment.

Le prophète – Khalil Gibran

Françoise

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Capture d’écran 2015-09-05 à 23.44.19

Philippe Jaroussky (countertenor), Händel – Lascia ch’io pianga

 

L’espace de notre vie n’est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se déconnecte et où il se rassemble ? On sent confusément des fissures, des hiatus, des points de friction, on a parfois la vague impression que ça coince quelque part, ou que ça éclate, ou que ça se cogne. Nous cherchons rarement à en savoir davantage et le plus souvent nous passons d’un endroit à l’autre, d’un espace à l’autre sans songer à mesurer, à prendre en charge, à prendre en compte ces laps d’espace. Le problème n’est pas d’inventer l’espace, encore moins de le ré-inventer, […] mais de l’interroger, ou, plus simplement encore, de le lire […]
Georges Perec, Espèce d’espace

Dans les nuages boules
Un’ petite bibliothèque
Un’ source généreuse
[…] « Source-nuage »

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Traditionnellement, on utilise l’image d’un fleuve pour représenter le temps qui passe. Les Chinois ont remarqué cet écoulement de l’eau dans un fleuve qui ne revient pas, mais ils ont aussi constaté aussi que, au cours de son écoulement une quantité d’eau s’évapore pour monter dans le ciel et devenir nuages, lesquels retomberont en pluie pour alimenter à nouveau le fleuve à sa source. Donc l’expression « source-nuage » évoque cette grande loi du cosmos, de la vie à travers sa circulation inépuisable […]
François Cheng – Entretiens avec Françoise Siri

Pascale

 

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le début d’un livre lu avec Odette, qui m’intriguait,
m’effrayait un peu, me faisait rêver…

« Par un épais, brouillard du mois de septembre deux enfants, deux frères, sortaient de la ville de Phalsbourg en Lorraine. Ils venaient de franchir la grande porte fortifiée qu’on appelle porte de France. Chacun d’eux était chargé d’un petit paquet de voyageur, soigneusement attaché et retenu sur l’épaule par un bâton. Tous les deux marchaient rapidement, sans bruit ; ils avaient l’air inquiet. Malgré l’obscurité déjà grande, ils cherchèrent plus d’obscurité encore et s’en allèrent cheminant à l’écart le long des fossés.
L’aîné des deux frères, André, âgé de quatorze ans, était un robuste garçon, si grand et si fort pour son âge qu’il paraissait avoir au moins deux années de plus. Il tenait par la main son frère Julien, un joli enfant de sept ans, frêle et délicat comme une fille, malgré cela courageux et intelligent plus que ne le sont d’ordinaire les jeunes garçons de cet âge. À leurs vêtements de deuil, à l’air de tristesse répandu sur leur visage, on aurait pu deviner qu’ils étaient orphelins. Lorsqu’ils se furent un peu éloignés de la ville, le grand frère s’adressa à l’enfant et, à voix très basse, comme s’il avait eu crainte que les arbres mêmes de la route ne l’entendissent :
— N’aie pas peur, mon petit Julien, dit-il ; personne ne nous a vus sortir.
— Oh ! je n’ai pas peur, André, dit Julien ; nous faisons notre devoir, Dieu nous aidera.
— Je sais que tu es courageux, mon Julien, mais, avant d’être arrivés, nous aurons à marcher pendant plusieurs nuits ; quand tu seras trop las, il faudra me le dire : je te porterai.
— Non, non, répliqua l’enfant ; j’ai de bonnes jambes et je suis trop grand pour qu’on me porte.
Tous les deux continuèrent à marcher résolument sous la pluie froide qui commençait à tomber. La nuit, qui était venue, se faisait de plus en plus noire. Pas une étoile au ciel ne se levait pour leur sourire ; le vent secouait les grands arbres en sifflant d’une voix lugubre et envoyait des rafales d’eau au visage des enfants. N’importe, ils allaient sans hésiter, la main dans la main ».
G. Bruno, Tour de la France par deux enfants, Paris, 1904

Laure

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Tu lances certainement des encouragements aux oiseaux fatigués
par le trop long voyage
À l’enfant dont le cartable est trop lourd
tu susurres une chanson qui s’imprime dans l’air
À l’arbre tu rappelles sa couleur pourpre prochaine
tu sais ces saisons-là et toutes les autres dans les langues que tu parles

Au livre que je relis tu as laissé ta voix

Des falaises anglaises j’ai rapporté une pierre,
toi qui voulais tant parler sa langue

Peut-être te racontera-t-elle tous les rires des enfants,
leurs périples sauvages, les côtes abordées ?

De sa craie j’en suis sûre tu tireras des histoires
et auras déposé sur les murs  des villes et campagnes une invite :
Revenir à la vague
Et voguer où l’espoir fait lueur

( ensuite attendre sa victoire?)
à bientôt Odette

Isabel

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Prière

Chère Odette, Où que nous soyons, nous y serons ce trois septembre. Tu sais, tous tes chantiers sont encore en chantier. Rien n’est solidement construit, sinon la détermination à construire. Tu peux toujours ajouter ta voix aux nôtres pour dire NON au chiffrage de l’humain, au triage, à l’étalonnage, au naufrage, au bourrage de crâne et et à tous les dommages qui sont de moins en moins collatéraux.
On ne va pas te leurrer, ça ne va pas fort, mais on continue à remonter nos rochers. Ils sont lourds, lourds…
Mais si ! Nous sommes heureux, heureux d’ouvrir encore des espaces de paroles libres, des petites cabanes de fraternité, des abris d’échange. Et nous sommes heureux parce que ta présence nous anime, quoique nous fassions, même si pour certains, comme moi, donnons l’impression d’être en retrait.
Oui, il y a “le Diable en France”,disait Lion Feuchtwanger, interné du camp des Milles, dans son livre autobiographique, pas qu’en France… et “Il n’y aura pas de paradis” pour Ryszard Kapuscinski. Au passage, je recommande ces deux livres pour la Bibliothèque des Nuages.
Si tu peux faire quelque chose, n’hésite pas, je sais bien que ce n’est pas dans ta nature. Il est évident que tu fais toujours quelque chose pour nous. On en voudrait pourtant un  peu plus, parce que ta présence terrestre nous manque. Quand tu nous” bottais les fesses”, ça nous poussait un peu plus loin. Ne nous oublie pas, pense bien fort à nous, s‘il te plait, encore et encore… Merci.

Nicole

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LIEBESLIED

Weiß sind die Tulpen; neige dich über mich.
Die Nacht tauscht Wind für fächelnde Hände ein.
Sag:es werden die Falter schwärmen?
Sag:mein Mund wird der einzige Kelch sein?
Und du schließt dein Aug vor dem rötlichen Schimmer –
sag?

Denn diesmal – fühlst du? – läßt dich mein Arm nicht mehr
in die Welt…
Weiß sind die Tulpen; neige dich über mich.

( Paul Celan, Todesfuge)

CHANSON D’AMOUR

Blanches, les tulipes ; penche toi sur moi
Du vent, la nuit fait le troc, mains qui tremblent.
Dis : les papillons seront-ils nuée ?
Dis : ma bouche, le seul calice ?
Et l’oeil, tu le fermes devant le rougeoyant scintillement  –
Dis ?

Car, cette fois-ci – le sens-tu ? mon bras ne te laisse plus
parcourir le monde
Blanches les tulipes ; penche toi sur moi

(d’après Paul Celan, Fugue de mort –  (trad. M.N.),
poète de langue allemande, d’origine roumaine,
dont les parents périrent dans les Camps de la mort.

Michel

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29 juin 2014

En ce jour anniversaire d’une naissance,
la tienne…


Hommages


 

À fleur d’éveil

En tout silence murmure d’une note
D’un souffle léger
Au profond de la nuit perle d’une lueur
D’un minuscule éclat
Rencontre là
Larme de mémoire dans la chair du monde

Alors
Germe une graine à fleur de terre
Perce un petit mot d’en vie d’amour
Tenace pensée sur le tapis du jardin

Vogue ton âme en présence invisible
À fleur de vie toujours à renaître
Une petite pensée.

À Odette, le 29 juin 2014,
Chantal Blanc.


Relire / relier

Pour Odette

Un plateau de théâtre plutôt nu.
Sarah lit à voix haute la lettre qu’elle vient d’écrire à Dominique, son compagnon, disparu en mer depuis plusieurs années. Elle en a écrit bien d’autres avant, mais celle-ci est particulière.

Comment savoir si tu es mort ou vivant ?

Les échos sont contradictoires. Certains voyageurs affirment t’avoir vu en des terres lointaines. D’autres ont entendu parler de naufrage, on aurait vu les débris de ton bateau sur une plage.

Le parti le plus simple, à mon avis, sera celui de la relecture. Les traces sont si nombreuses ici de ta présence : il suffit que je regarde se déformer les nuages, ou que je surprenne dans le ciel bleu la vibration plus soutenue d’un instant, tandis que se découpent à contrejour feuilles ou ramures. Je me souviens alors du désir de tes yeux quand tu les regardais.

Relire aussi, entretissés au travail harassant des jours, certaines paroles qui résonnent, ou des yeux qui s’éclairent. On ne sait pas qui a parlé, ni pourquoi quelque chose soudain a pris sens. Une voix est passée et on emporte avec soi cette goutte limpide pour les temps de soif.

Et dans le terreau obscur des nuits, il y a d’autres passages, un écran qui se déchire, une évidence entrevue, et ce repos auquel je consens, qui me répare.

Ma peau s’est faite plus poreuse depuis que tu n’es plus là : des lumières me traversent, des souffles me parcourent…

Le plus incroyable est que rien n’ait changé et que tout soit différent : le vent devient écharpe autour de mon cou, les coquillages roulés par la mer parlent de toi, les nouvelles des journaux dressent la carte de tes révoltes, de tes chantiers, comme tu disais.

Pour savoir comment continuer, je me souviens de ces cailloux que tu laissais sur ton chemin pour que d’autres les saisissent. Je les recueille et les relance plus loin.

Je vais me glisser dans les plis de ce manteau que tissait Pénélope, il y a bien longtemps, et que nous n’avons pas laissé défaire, ce manteau qui s’est enrichi de tous les parfums des terres émergées et de tous les mots qui, à travers nos cœurs et nos lèvres, se sont frayé un chemin.

Même si tu ne reviens pas, je vais continuer…

Le chœur s’avance et dit :

Ce sont les morts
qui dressent le métier
et tiennent la navette,
nous leur répondons par nos points hésitants,
nos arabesque folles,
et nos rêves bruissent dans l’étoffe.

Michèle Monte, mars 2014


Il y a dans ce texte de Pablo Neruda des mots pour toi,
des mots pour nous…

Noëlle De Smet

O no voy a morirme. 
Salgo ahora en este día lleno de volcanes 
hacia la multitud, hacia la vida. 
Aquí dejo arregladas estas cósas
 hoy que los pistoleros se pasean
con la cultura occidental en brazos,
 con las manos que matan en España
y las horcas que oscilan en Atenas
y la deshonra que gobierna a Chile
y paro de contar.
Aquí me quedo
con palabras y pueblos y caminos
 que me esperan de nuevo, y que golpean
con manos consteladas en mi puerta.

Je ne vais pas mourir.
 Je pars en ce jour rempli de volcans 
vers l’homme en foule, vers la vie.
 J’ai tout réglé. Je laisse tout ceci en ordre
 aujourd’hui que les gangsters se promènent
 avec dans les bras la culture occidentale,
 avec des mains qui assassinent en Espagne
 et des gibets qui se balancent sur Athènes
 et le déshonneur qui gouverne le Chili.
 Je cesse de conter.

Me voici
avec des mots, des peuples, des chemins 
qui à nouveau m’attendent,
et dont les mains constellées frappent à ma porte


 

 pl

Derrière les vitres
les mOts pendent en grappes
Comme des raisins murs

Ils attendent que les passants les cueillent
Au n°44 de la rue Jardon + 30,
elle en aurait eu 74
Mais elle les a O
Naissance gravée sur la pierre

Elle Orait aimé les lignes et les couleurs
qu’elle Orait portées en drapeau
Comme les couleurs de Paix
Ensemble et Liberté
Parce que ça rend fort
O elle aurait fait une photO
de son petit appareil rOse
L’oeil vif
Le sourire satisfait
Elle Orait encouragé
de mOts bien choisis
Ceux qui cherchent un territoire d’accueil
fatigués
tant de trajectoires sans arrivée

Si elle savait O
que chaque fois que je commence un atelier
Je pense à elle
A elle + M
Comme une graine-coeur de sénevé
l’air de rien
Le tronc se fait solide,
visible
Osé.

O
Elle Orait aimé ça.

Pascale Lassablière


 

Visite nocturne

Sept fois, elle a prié. Sept fois, ses suppliques se sont écrasées sur le mutisme sec de l’incommensurable : sept flaques de vide dans sept oreilles sourdes.

Alors, sans bruit, sans ombre, sans soupir, en dépit de toute prudence et de toute allégeance, elle s’est résolue, seule et sans trembler, à remonter l’abîme, à franchir à tâtons les fragiles barrières de l’invisible, à déserter la nuit sempiternelle pour celle qui n’est qu’une pause dans la lumière, celle dont les étoiles brillent comme des points de suspension… comme d’infinis ponts suspendus !

Par un hasard qui fait bien les choses, elle s’est retrouvée, transparente nyctalope, dans cette chambre familière, au pied du lit ancien où elle s’est agenouillée. Si elle avait eu encore ses yeux, elle en aurait pleuré de joie… et les aurait fermés, savourant mieux ainsi l’émotion de ces retrouvailles, méprisant la glace impassible de la grosse armoire, frottée à la cire d’abeille, qui lui refuse son reflet ! Son inconsistante présence atténue l’âcre arôme de miel qu’elle ne peut plus humer. Sans qu’elle s’en offusque, la danse aérienne de microscopiques bestioles insomniaques la transperce de ci, de là. Elle se fait légère, prête, sur le qui-vive, à s’envoler au moindre souffle. Sa face livide pâlit davantage sous les rayons de pleine lune.

Ce cher ange qui dort tout près, inaccessible et calme, comme elle voudrait l’embrasser ! Elle se penche sur cet amour. Quelque chose a frémi sous le vernis des apparences, telle une mise en garde. Le petit marmonne dans l’oreiller une parole brève et soudaine, avant de s’immerger au royaume des fées. Sa poitrine se gonfle et se vide au rythme régulier de sa respiration. Quelques borborygmes brisent encore un peu le silence… puis plus rien ! Même les songes de son garçonnet l’excluent. Prisonnière d’autres rivages, elle reste aux aguets ; elle ne connaît pas ce pays des merveilles où le sommeil le guide dans ses explorations. Comment faire ? Quelque part, tout au fond des méandres de la conscience, leurs âmes solitaires pourraient peut-être conjurer la séparation. Elle voudrait caresser ses cheveux, le prendre dans ses bras, l’appeler son chéri, lui susurrer d’autres mots tendres pour lui donner de l’espoir, de l’énergie, de l’endurance, lui insuffler ce qu’elle-même a perdu. Elle voudrait qu’il se réveille, que ses paupières s’ouvrent sur l’harmonie azuréenne de ses prunelles de poupée et que ses lèvres éclosent sur la neige pure de ses sept printemps. Elle voudrait le bleu d’un regard complice, juste l’étincelle d’un sourire entendu. Elle voudrait l’avant, l’avant dans son intégralité, l’avant sans réserve ni restriction, l’avant sans louvoyer ni négocier, même l’avant des inquiétudes et des chagrins qui masquaient le bonheur de se sentir vivante et de les vivre ensemble.

Mais non, c’est impossible ! C’est au-delà de ses forces et de ses dons. Elle ne peut rien y changer. Se retrouver là, déjà, à l’insu de tous, cachée sous les sept voiles des ténèbres, quel miracle ! On ne lui en accordera pas davantage ! Elle vient en observatrice dans la lueur des existences humaines mais ça lui déchire le cœur, ce même cœur qui ne peut plus saigner. Le décor n’a pas changé, chavirant insensiblement dans l’obsolescence. Des particules irisées, éclairant faiblement un portrait d’elle récemment mis au mur, voyagent dans cet espace clos sans lutter contre l’irréversible. Laisser aller, laisser faire, laisser les ondes se propager, se rencontrer, se détruire ou se renforcer. Ah, le supplice irrémédiable ! C’est comme dans l’avant, à la fois si proche et si lointain, quand elle regardait les films à la télé et que, malgré ses avertissements, l’héroïne du petit écran tombait chaque fois dans le piège, quitte à en mourir. Sa voix, désormais tarie dans l’aride aphonie des mondes parallèles, se fracassait alors sur la boîte à images. Derrière la vitre, les destins cathodiques, précipitant leur infortune, ne s’interrompaient pas pour si peu.

Somme toute, elle aura été exaucée : elle n’est pas revenue à elle mais est parvenue jusqu’à lui. C’est bien ce qu’elle voulait. C’est à cette idée qu’il lui faut s’accrocher. L’aurore va bientôt sortir les poings de ses draps d’or, nimbant ses bâillements de rose. Un cri de basse-cour déchirera ses langes. Sept fois résonnera l’écho. Il n’est plus assez tôt. Elle sait. Elle se résigne. Le sablier cruel s’écoule sur l’inflexible rappel du repli. Déjà ? Á regret, elle se redresse, esquisse un dernier geste flottant dans ses contours ; sa silhouette se brouille, son image s’évapore. Le flou retourne au néant. Elle a fondu, confondue avec le rêve d’enfant qui efface sa trace.

Dehors, sous ses plumetis de deuil, le froid devient humide ; le chant des coqs liquéfie les limbes. La terre noire fume. La terre noire craquelle. La terre noire se parsème de l’éternel recommencement.

Jean-Jacques Maredi


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Ceux qui ne sont plus là
Ceux qu’on attendait
Ceux dont nous nous souvenons
Ceux qui nous ont souris
Ceux qui nous ont accueillis
Ceux qui nous ont soutenus
Ceux avec qui nous nous sommes construits
Ceux qui nous ont encouragés
Ceux que nous avons estimés
Ceux qui nous ont choyés
Ceux que nous avons aimés
Ceux qui nous ont pardonnés
Ceux à qui nous avons pardonné
Ceux qui ne savaient pas que nous savions
Combien ils nous désapprouvaient
Ceux qui nous ont écoutés
Et que nous avons entendus
Ceux qui ont entendu ce que nous disions
Et que personne ne comprenait
Ceux qui écrivaient
Ceux qui lisaient ce que nous écrivions
Ceux à qui nous avons écrit et qui ont répondu
Ceux dont la présence était une réponse à notre question
Ceux qui étaient présents malgré notre errance
Ceux sur qui on pouvait compter
Ceux qui ont compté pour nous
Ceux qui donnaient sans compter
Ceux pour qui il n’y eu jamais de solde de tout compte
Ceux sans lesquels nous aurions été, seulement, seuls
Ceux à qui nous pensons
Ceux à qui nous penserons
Jusqu’à ce que l’on ne pense plus à nous.

Anne-Marie Suire


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