« Nous creusons une tombe dans les airs
Wir schauffeln ein Grab in den Lüften
on n’y est pas couché à l’étroit
da liegt man nicht eng »
Paul Celan « Todesfuge »
Pour Odette
tant de messages, de poèmes, de musiques
ce jour de septembre, de toutes parts venus
ainsi tressons-nous à notre tour
comme une
bibliothèque dans les nuages
(extraits des textes reçus)
XXXVII
¿Dices que nada se crea? Tu dis que rien ne se crée ?
No te importe, con el barro Ne t’en soucie pas, de l’argile
de la tierra, haz una copa de la terre fais un bol
para que beba tu hermano. pour faire boire ton frère.
XXXVIII
¿Dices que nada se crea? Tu dis que rien ne se crée ?
Alfarero, a tus cacharros. Potier, retourne à tes pots.
Haz tu copa y no te importe Fais ton bol et ne te mets pas en souci
si no puedes hacer barro. si tu ne peux faire de l’argile.
Antonio Machado. Proverbios y Cantares Campos de Castilla (1907-1917)
Maria-Alice
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La mauvaise réputation (Georges Brassens)
Gérard
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Je continuerai de chanter !
Les Oiseaux me dépasseront
Allant vers des Climats plus lumineusement Jaunes –
Chacun – avec une attente de Grive –
Moi – avec mon Rouge-gorge –
Et mes Poèmes –
[…]
Emily Dickinson, Poésies complètes
(1861), traduction Françoise Delphy, édition bilingue, Flammarion, 2009.
Gislaine
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Los libertadores (Canto general, Mikis Theodorakis & Pablo Neruda)
Les libérateurs
Voici l’arbre,
l’arbre de la tempête,
l’arbre du peuple.
Ses héros montent de la terre
comme les feuilles sortent de la sève,
et le vent étoile les feuillages,
foule bruyante,
jusqu’à ce que retombe en terre
la semence du pain.
Voici l’arbre,
l’arbre nourri de morts nus,
de morts flagellés, de morts déchirés,
de morts aux visages insupportables
empalés sur une lance,
pulvérisés par le bûcher,
décapités par la hache,
écartelés par le cheval,
crucifiés dans l’église.
Voici l’arbre,
l’arbre dont les racines sont vivantes,
il changea en salpêtre le sang des martyrs,
ses racines mangèrent du sang,
il fit sortir des larmes du sol :
il les fit monter par ses ramures,
il les répandit dans son architecture.
Elles furent des fleurs invisibles,
parfois des fleurs enterrées,
d’autrefois des fleurs qui firent briller leurs pétales
comme des planètes.
Et l’homme cueillit sur les branches
les corolles durcies,
il les donna, de main en main,
comme s’il s’agissait de magnolias ou de grenades
et aussitôt, elles ouvrirent la terre
et grandirent jusqu’aux étoiles.
Pablo Neruda, Chant général (extraits)
Voy vivir (Canto general, Mikis Theodorakis & Pablo Neruda)
Je veux vivre
Je ne vais pas mourir.
Je pars en ce jour rempli de volcans
vers l’homme en foule, vers la vie.
J’ai tout réglé. Je laisse tout en ordre.
Maintenant que se pavanent les bandits
avec la « culture occidentale » à pleins bras,
avec des mains qui tuent en Espagne
et des gibets qui se balancent sur Athènes
et la honte qui gouverne le Chili.
Mais je cesse de conter.
Me voici,
avec des mots, des peuples, des chemins
qui à nouveau m’attendent, des constellations de mains qui frappent à ma porte.
Pablo Neruda, Chant général
Noëlle
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Suspendue dans le firmament,
La belle lune ensoleillée,
Dans une lueur argentée,
Me montra tous ses continents
Immenses, sombres et mystérieux,
Au-dessus des nuages bleus.
Les vois-tu, toi aussi ?
Et notre mer, en sursis,
Et nos forêts, sous les pluies
Grises, acides et amères,
Et tous les enfants de la Terre…
Entends-tu, ma très chère Amie,
Tous nos chants qui toujours espèrent?
Valérie
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« PARLEZ NOUS DE LA MORT… »
Alors Almira parla, disant : nous voudrions maintenant vous questionner sur la mort. Et il dit : Vous voudriez connaître le secret de la mort. Mais comment le trouverez-vous sinon en le cherchant dans le cœur de la vie ? La chouette dont les yeux faits pour la nuit sont aveugles au jour ne peut dévoiler le mystère de la lumière.
Si vous voulez vraiment contempler l’esprit de la mort, ouvrez amplement votre cœur au corps de la vie. Car la vie et la mort sont un, de même que le fleuve et l’océan sont un.
Dans la profondeur de vos espoirs et de vos désirs repose votre silencieuse connaissance de l’au-delà. Et tels des grains rêvant sous la neige, votre cœur rêve au printemps.
Fiez-vous aux rêves, car en eux est cachée la porte de l’éternité. Votre peur de la mort n’est que le frisson du berger lorsqu’il se tient devant le roi dont la main va se poser sur lui pour l’honorer. Le berger ne se réjouit-il pas sous son tremblement, de ce qu’il portera l’insigne du roi ? Pourtant n’est-il pas plus conscient de son tremblement ? Car qu’est-ce que mourir sinon se tenir nu dans le vent et se fondre au soleil. Et qu’est-ce que cesser de respirer, sinon libérer le souffle de ses marées inquiètes, pour qu’il puisse s’élever et se dilater et rechercher Dieu sans entraves ?
C’est seulement lorsque vous boirez à la rivière du silence que vous chanterez vraiment. Et quand vous aurez atteint le sommet de la montagne, vous commencerez enfin à monter. Et lorsque la terre réclamera vos membres, alors vous danserez vraiment.
Le prophète – Khalil Gibran
Françoise
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Philippe Jaroussky (countertenor), Händel – Lascia ch’io pianga
L’espace de notre vie n’est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se déconnecte et où il se rassemble ? On sent confusément des fissures, des hiatus, des points de friction, on a parfois la vague impression que ça coince quelque part, ou que ça éclate, ou que ça se cogne. Nous cherchons rarement à en savoir davantage et le plus souvent nous passons d’un endroit à l’autre, d’un espace à l’autre sans songer à mesurer, à prendre en charge, à prendre en compte ces laps d’espace. Le problème n’est pas d’inventer l’espace, encore moins de le ré-inventer, […] mais de l’interroger, ou, plus simplement encore, de le lire […]
Georges Perec, Espèce d’espace
Dans les nuages boules
Un’ petite bibliothèque
Un’ source généreuse
[…] « Source-nuage »
Traditionnellement, on utilise l’image d’un fleuve pour représenter le temps qui passe. Les Chinois ont remarqué cet écoulement de l’eau dans un fleuve qui ne revient pas, mais ils ont aussi constaté aussi que, au cours de son écoulement une quantité d’eau s’évapore pour monter dans le ciel et devenir nuages, lesquels retomberont en pluie pour alimenter à nouveau le fleuve à sa source. Donc l’expression « source-nuage » évoque cette grande loi du cosmos, de la vie à travers sa circulation inépuisable […]
François Cheng – Entretiens avec Françoise Siri
Pascale
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le début d’un livre lu avec Odette, qui m’intriguait,
m’effrayait un peu, me faisait rêver…
« Par un épais, brouillard du mois de septembre deux enfants, deux frères, sortaient de la ville de Phalsbourg en Lorraine. Ils venaient de franchir la grande porte fortifiée qu’on appelle porte de France. Chacun d’eux était chargé d’un petit paquet de voyageur, soigneusement attaché et retenu sur l’épaule par un bâton. Tous les deux marchaient rapidement, sans bruit ; ils avaient l’air inquiet. Malgré l’obscurité déjà grande, ils cherchèrent plus d’obscurité encore et s’en allèrent cheminant à l’écart le long des fossés.
L’aîné des deux frères, André, âgé de quatorze ans, était un robuste garçon, si grand et si fort pour son âge qu’il paraissait avoir au moins deux années de plus. Il tenait par la main son frère Julien, un joli enfant de sept ans, frêle et délicat comme une fille, malgré cela courageux et intelligent plus que ne le sont d’ordinaire les jeunes garçons de cet âge. À leurs vêtements de deuil, à l’air de tristesse répandu sur leur visage, on aurait pu deviner qu’ils étaient orphelins. Lorsqu’ils se furent un peu éloignés de la ville, le grand frère s’adressa à l’enfant et, à voix très basse, comme s’il avait eu crainte que les arbres mêmes de la route ne l’entendissent :
— N’aie pas peur, mon petit Julien, dit-il ; personne ne nous a vus sortir.
— Oh ! je n’ai pas peur, André, dit Julien ; nous faisons notre devoir, Dieu nous aidera.
— Je sais que tu es courageux, mon Julien, mais, avant d’être arrivés, nous aurons à marcher pendant plusieurs nuits ; quand tu seras trop las, il faudra me le dire : je te porterai.
— Non, non, répliqua l’enfant ; j’ai de bonnes jambes et je suis trop grand pour qu’on me porte.
Tous les deux continuèrent à marcher résolument sous la pluie froide qui commençait à tomber. La nuit, qui était venue, se faisait de plus en plus noire. Pas une étoile au ciel ne se levait pour leur sourire ; le vent secouait les grands arbres en sifflant d’une voix lugubre et envoyait des rafales d’eau au visage des enfants. N’importe, ils allaient sans hésiter, la main dans la main ».
G. Bruno, Tour de la France par deux enfants, Paris, 1904
Laure
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Tu lances certainement des encouragements aux oiseaux fatigués
par le trop long voyage
À l’enfant dont le cartable est trop lourd
tu susurres une chanson qui s’imprime dans l’air
À l’arbre tu rappelles sa couleur pourpre prochaine
tu sais ces saisons-là et toutes les autres dans les langues que tu parles
Au livre que je relis tu as laissé ta voix
Des falaises anglaises j’ai rapporté une pierre,
toi qui voulais tant parler sa langue
Peut-être te racontera-t-elle tous les rires des enfants,
leurs périples sauvages, les côtes abordées ?
De sa craie j’en suis sûre tu tireras des histoires
et auras déposé sur les murs des villes et campagnes une invite :
Revenir à la vague
Et voguer où l’espoir fait lueur
( ensuite attendre sa victoire?)
à bientôt Odette
Isabel
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Prière
Chère Odette, Où que nous soyons, nous y serons ce trois septembre. Tu sais, tous tes chantiers sont encore en chantier. Rien n’est solidement construit, sinon la détermination à construire. Tu peux toujours ajouter ta voix aux nôtres pour dire NON au chiffrage de l’humain, au triage, à l’étalonnage, au naufrage, au bourrage de crâne et et à tous les dommages qui sont de moins en moins collatéraux.
On ne va pas te leurrer, ça ne va pas fort, mais on continue à remonter nos rochers. Ils sont lourds, lourds…
Mais si ! Nous sommes heureux, heureux d’ouvrir encore des espaces de paroles libres, des petites cabanes de fraternité, des abris d’échange. Et nous sommes heureux parce que ta présence nous anime, quoique nous fassions, même si pour certains, comme moi, donnons l’impression d’être en retrait.
Oui, il y a “le Diable en France”,disait Lion Feuchtwanger, interné du camp des Milles, dans son livre autobiographique, pas qu’en France… et “Il n’y aura pas de paradis” pour Ryszard Kapuscinski. Au passage, je recommande ces deux livres pour la Bibliothèque des Nuages.
Si tu peux faire quelque chose, n’hésite pas, je sais bien que ce n’est pas dans ta nature. Il est évident que tu fais toujours quelque chose pour nous. On en voudrait pourtant un peu plus, parce que ta présence terrestre nous manque. Quand tu nous” bottais les fesses”, ça nous poussait un peu plus loin. Ne nous oublie pas, pense bien fort à nous, s‘il te plait, encore et encore… Merci.
Nicole
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LIEBESLIED
Weiß sind die Tulpen; neige dich über mich.
Die Nacht tauscht Wind für fächelnde Hände ein.
Sag:es werden die Falter schwärmen?
Sag:mein Mund wird der einzige Kelch sein?
Und du schließt dein Aug vor dem rötlichen Schimmer –
sag?
Denn diesmal – fühlst du? – läßt dich mein Arm nicht mehr
in die Welt…
Weiß sind die Tulpen; neige dich über mich.
( Paul Celan, Todesfuge)
CHANSON D’AMOUR
Blanches, les tulipes ; penche toi sur moi
Du vent, la nuit fait le troc, mains qui tremblent.
Dis : les papillons seront-ils nuée ?
Dis : ma bouche, le seul calice ?
Et l’oeil, tu le fermes devant le rougeoyant scintillement –
Dis ?
Car, cette fois-ci – le sens-tu ? mon bras ne te laisse plus
parcourir le monde
Blanches les tulipes ; penche toi sur moi
(d’après Paul Celan, Fugue de mort – (trad. M.N.),
poète de langue allemande, d’origine roumaine,
dont les parents périrent dans les Camps de la mort.
Michel
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