Notre demeure est une question. En quelle langue ancrer ce qui vient ? Où adosser le récit? Superposition de temps, mots, sèmes et sons, lettres que la page blanche appelle – invoque – convie
Davos Lac, il y a longtemps. Remontant d’Italie, saturés de soleil, habités de mille musiques encore, de mille Madone, nous y faisions halte en cette fin d’été.
L’eau du lac, longée. Suivi, le sentier qui le bordait. Nos pas, de toute part cernés de vifs parfums. Vert profond des pâturages. Boutons d’or dans l’écrin d’un théâtre alpestre. Une quiétude douce, si douce nous envahit quand, au bout de la vallée, apaisée, tu nous en fis l’aveu : un jour, si je pouvais, parmi les fleurs, sous les grands sapins – ici – est le lieu ultime où reposer, que je m’y love dans le temps long des pierres et des mousses.
Am Waldfriedhof. Cimetière dans les bois. Son nom, les stèles gravées, tu les aimais, redis-le nous. Elles étaient tiennes déjà.
Je ne voudrais parler que de ce qui fait pli et repli.
Dans la pensée et le paysage.
Dans les cœurs.
N’évoquer que ce que l’ombre une fois encore, de toi,
voudrait sceller.
Visage sur visage. Peau sur peau.
Tes yeux de khol, sel d’or entre mes doigts.
Davos Lac. J’y suis retourné cette année. On ne se baigne jamais deux fois dans la même eau. On ne fait jamais le même tour du lac. On ne parcourt jamais la même forêt. Jamais, on ne suit le même sentier. Jamais.
Tapis de feuilles, on y revient pourtant. On fouille et puis on lève les yeux. On cherche l’angle, la focale par où tout cela retrouver.
***
De la mer toute proche d’où je vous parle,
au lac qu’on découvrait alors,
des fleuves de nos premières amours à ceux du présent,
d’une forêt à l’autre,
femmes, compagnes, mères, enfants,
sèmes et sons, vos voix tremblantes,
vous mêlées.
Pâle était le lac ce jour-là. Sombre, la forêt. Un vent froid l’arrosait d’intermittentes pluies. Qu’importe. Da wo es war, « où cela fut » : naître, grandir, aimer est un carré encore à déchiffrer.
***
Sous votre peaux alors je m’insinue.
Mémoires enfouies.
De ce qui se cache au revers l’apparence,
– eaux, pierres, mousses –
je romps le silence, je dénoue l’entrave.
Disjoints, le ciel et la terre,
Von Wort zu Wort. Von Ort zu Ort.
D’un lieu, d’un mot, l’autre.
Langue à langue.
***
Stabat mater.
Ce qui nous lie, nous relie, se délie,
griffures du temps, griffures de vie,
cette matière de vous, qu’écrivant,
je cherche, je bouscule, je chéris,
femmes, compagnes, mère, l’enfant que je fus,
de votre paume, de votre main, de nos vies mêlées
séparant les mots, une fois encore, ici, je me soutiens.
M.N. (Filigranes n°92, Cela n’a pas de prix)