le 30 août

odette
La maison de Carnoux, sa terrasse, son jardin, ses arbres et ses fleurs lui donné rendez-vous ce 30 août pour un moment de souvenir, de parole, d’écriture.

° ° °

Combien de mots depuis qu’Elle est partie ?
Des mots pour donner un sens à l’absence
Des mots qui nomment le souvenir
Lui donne une continuité
Comme de nouveaux rhizomes
Une flore enracinée dans des dons passés
Quelque part autour de la table
Elle sera là demain
Dans les yeux
Dans les mains serrées et les bises appuyées
Si un passé ne reviendra plus jamais
C’est un futur avec une présence autre qu’il nous faut apprendre
Et c’est une chance énorme d’avoir chacun
Des traces
Des archives
Des millefeuilles de la mémoire
Des mots
Qu’Elle nous a dit
Qu’Elle nous a écrit
Qui font qu’on pousse sa vie
Dans des chemins pris seuls ou ensemble
Dans les plis d’une voile à 7 couleurs
Aux Cultures de la paix.

Pascale Lassablière

pascale - réduit

(Photo Pascale Lassablière)

 ° ° °

 

temps calme sous les eucalyptus
brise légère
les convives se sont échappés un instant vers le très bleu de la mer
dans la colline un chien a humé l’odeur de la viande et s’approche
les enfants repensent à jouer dans les arbres
pensées des amis qu se croisent et se répondent dans les filets dessinés par le vent
le ciel invente des danses silencieuses aux sources desquelles nos imaginations viennent boire

Isabel Ganga

° ° °

« C’était le sel dans la vasque du temps. Il n’en est resté que l’urne obscur des mots.
Est-il matin ? Certes l’obscurité est de bon augure, – quand les mots luisent au perron de la maison.
Dans ce royaume de nos mains. »

Edouard Glissant « Sel noir » (extrait choisi par Agnès Petit)

° ° °

À fleur d’éveil
En tout silence murmure d’une note
D’un souffle léger
Au profond de la nuit perle d’une lueur
D’un minuscule éclat

Rencontre là

Larme de mémoire dans la chair du monde

Alors

Germe une graine à fleur de terre
Perce un petit mot d’en vie d’amour
Tenace pensée sur le tapis du jardin

Vogue ton âme en présence invisible
À fleur de vie toujours à renaître

Une petite pensée.

Chantal Blanc.

° ° °

 

S’ouvre un ciel
S’ouvre un ciel bouloché d’azur
L’horizon s’élargit comme l’esprit des sages
Mais le temps que tu n’habites pas
Endolorit jusqu’à ma chair

Dans le dégoût des heures fades
Bercé de haut-le-cœur où palpite l’attente
Le mal preuve la plus indéniable
Est devenu un bien précieux

Pourquoi cette faim d’autre chose
Qui me coupe le corps en deux et le démembre
D’où vient cette soif qui me dénude
Comme le plus simple animal

Penser à toi pourrait suffire

Jean-Jacques Maredi

Vieillir

Apprendre à…
Se poser la question non pas du quand, mais du comment ?
Voir la fin avec aménité sans désespoir ni anxiété,
tranquillement, comme une chose normale.
Ne pas se laisser surprendre, mais avoir préparé
l’événement, en vivant mieux, plus intensément
ou plus consciemment.
Surveiller l’arrivée du printemps,
comme si c’était le dernier à éclore.
Être à l’affût des petits plaisirs de la vie,
les monter en épingle. S’en faire joie.
Partager les bons moments.

Odette Neumayer
13 mars 2011 (non publié)

La mise en patrimoine (extrait du master en ergologie)

par Odette Neumayer

Mise en patrimoine / Mise en mémoire

« Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » Cette citation de René Char, Hannah Arendt la reprend ainsi…  » Le testament, qui dit à l’héritier ce qui sera légitimement sien, assigne un passé à l’avenir. Sans testament ou, pour élucider la métaphore, sans tradition -qui choisit et nomme, qui transmet et conserve, qui indique où les trésors se trouvent et quelle est leur valeur- il semble qu’aucune continuité dans le temps ne soit assignée et qu’il n’y ait, par conséquent, humainement parlant, ni passé ni futur, mais seulement le devenir éternel du monde et en lui le cycle biologique des êtres vivants. »

Nous voyons dans ces lignes combien la question dépasse le seul cadre universitaire et possède une dimension anthropologique et historique « … les hommes, dès l’enfance s’informent dans le patrimoine universel, s’individuent au cours des expériences sociales que la vie leur propose, cela ne peut être sans conséquences profondes sur la question de la connaissance des sujets singuliers ainsi formés. » Yves Schwartz (in « Je/sur l’individualité ») p.194

Vouloir éviter la perte de l’objet, n’est-ce pas être conscient de sa valeur ou du moins, lui accorder une certaine valeur sur l’échelle des nôtres ?

*  *  *

Le patrimoine : définitions

Avant toute recherche thématique sur des notions telles que professionnalité, identité, opérationnalité, s’impose la réflexion sur le concept même de « mise en patrimoine ».

Qu’entend-on par « patrimoine » dans le sens commun?

Le Larousse propose: « Patrimoine: ensemble des biens de famille reçus en héritage. Ensemble des biens, des droits et des charges d’une personne. Masse de biens et de dettes trouvant sa cohérence dans une destination commune. (Biologie) Synonyme de génotype. Bien commun d’une collectivité, d’un groupe humain, de l’humanité considéré comme un héritage transmis par les ancêtres. »

Le Robert: « Patrimoine: ‘héritage du père’; biens que l’on a hérités de ses ascendants (V. Fortune, héritage, propriété); en droit: ensemble des droits et des charges d’une personne, appréciables en argent; ce qui est considéré comme un bien propre; (biol.) ensemble des caractères hérités. »

« Hériter = recueillir la possession, l’usage, la jouissance de quelque chose (terre, rites, symboles) »

La notion de patrimoine renvoie à celle de groupe, de lignée, de succession de générations, de filiation. Elle implique l’idée d’accumulation ou de dilapidation de richesses. Elle s’appuie sur une transmission. Elle comporte deux aspects antagoniques: jouissance et obligation, droits et devoirs. De ce point de vue, on peut parler de patrimoine à propose de l’A.P.S.T.

En revanche, elle échappe à notre champ d’étude dans ses références à la notion de famille, de succession, à la dimension « palpable » des biens, à la biologie.

Perçue de manière plus intuitive, cette notion, appliquée à l’A.P.S.T. évoque l’existence d’un territoire aux contours balisés par des personnes (enseignants, étudiants actuels et anciens, chercheurs), par des écrits (livres publiés chez les éditeurs, articles de revues, études diverses et nombreuses, etc.), par des lieux (quelques pièces au 6ème étage de l’Université II de Provence, par un fonds de livres mis à disposition).

Une activité spécifique : mettre en patrimoine

 Distinguons maintenant le patrimoine existant dont nous parlons ci-dessus de l’activité de mise en patrimoine. C’est cette dernière que nous allons étudier dans la suite de notre mémoire.

Mettre en patrimoine c’est à la fois accumuler des richesses et les rendre actives par un travail constant et conscientisé. Pour l’A.P.S.T. chaque mémoire, chaque article, chaque cours, chaque intervention ou recherche contribue à l’élargissement et au retravail de ce capital.

Mettre en patrimoine, c’est fabriquer de la mémoire, pour s’abstraire de l’objet sans le perdre réellement » (Daniel Sibony).

La mise en patrimoine
comporte une dimension historique

Par la « mise en patrimoine » s’exprime la volonté de trouver du commun dans le singulier, de thésauriser, d’engranger pour les générations à venir, de fixer des repères, des références, même temporaires, même provisoires. Il y a là comme un désir de maîtriser le temps, de créer l’événement par le récit des événements, car toute société, où ce travail de mise en patrimoine n’aurait pas été fait seraient privés de leur histoire. Toute institution a besoin que soient disponibles ses moments et ses documents fondateurs et que soient marquées les étapes de son évolution, afin de mettre de l’ordre pour pouvoir transférer et produire à nouveau.

La mise en patrimoine ouvre sur la question de la transmission. Mais celle-ci s’opère ici sur de l’immatériel, du conceptuel. Transmettre cela, oui mais comment? Qui est disposé à recevoir, qui décidera de faire sien l’héritage? Qui acceptera les conditions de la transmission: on ne transmet bien que ce qu’on est prêt à abandonner !

La mise en patrimoine
comporte une dimension langagière et symbolique

En distinguant le patrimoine de l’activité de mise en patrimoine, nous mettons l’accent sur la nécessité de la mise en mots de ce « savoir informulé » dont parle Daniel Faïta à propos des travailleurs en entreprise. « Si ce savoir demeure informulé, ce n’est pas pour cause d’inaptitude des travailleurs intéressés à maîtriser le discours scientifique, mais parce qu’en raison de sa nature il résiste encore à la formalisation et, par conséquent, à la mise en mots ». (« L’Homme Producteur » p.171)

Transposons à la formation. Ici aussi une part de l’expérience – pendant la formation, mais aussi après la formation – reste informulée. Point tant « par nature » que parce que ces choses ne font pas partie de ce qui se dit d’habitude d’une formation: pourquoi et comment le sujet a choisi telle formation, comment celle-ci s’est déroulée, quel usage il a pu en faire à son retour dans le monde du travail. Ces thèmes de réflexion qui semblent anecdotiques par comparaison avec ce qu’on appelle contenu proprement dit de la formation (les modules par ex.) conditionnent pourtant l’opérativité de celle-ci. La mise en patrimoine, ici discours sur la formation, parce qu’elle suppose le passage par les mots, devient un outil de dépassement du passé, peut-être au service d’une stratégie d’action.

La mise en mots, activité créatrice de structures mentales nouvelles, est un moyen de développement, de transformation pour ceux qui parlent ou écrivent leur expérience. La décision de mettre en patrimoine, c’est aussi l’occasion de faire advenir par le langage des éléments de son identité, de ses appartenances, de son image, d’avoir une meilleure perception des autres puisqu’on se perçoit mieux soi-même, de réinventer ses normes.

Cependant l’activité de mise en patrimoine ne peut se satisfaire de rester spontanée. Elle nécessite une volonté partagée, un projet, des dispositifs, des cadres, des conventions, des retours réflexifs. Elle est un travail.

Le patrimoine est comme un stock que chacun, non seulement alimente de son discours, mais encore contribue à structurer, à retravailler. Il y a donc accumulation de paroles, de documents, d’écrits relatifs à l’expérience d’A.P.S.T. Progressivement se constitue comme une « banque de données » qui demande à être pensée dans la perspective d’une mise à disposition, d’une lisibilité pour d’éventuels usagers qui y auraient recours.

Le patrimoine sera d’autant plus vivant qu’il sera activé, c’est-à-dire manipulé, interrogé, travaillé, lu et interprété par les « héritiers ». Ceci n’est pas sans nous rappeler certaine fable de Jean de la Fontaine: « … un trésor est caché dedans, je n’en sais pas l’endroit mais un peu de courage vous le fera trouver. » Mais que peut-on (ou veut-on) assumer comme héritage? Que sait-on de l’héritage pour pouvoir accepter le statut d’héritier ?

La mise en patrimoine
et la dimension du travail

C’est autour du travail et de l’activité de travail dans leurs aspects anthropologiques et philosophiques que se constitue le patrimoine A.P.S.T.

En effet, « la mise en patrimoine, n’est-elle pas inhérente à la démarche même de l’A.P.S.T. qui est tendue à poser un regard théorique sur des pratiques, à faire remonter des pratiques, des connaissances théoriques. » (Jacques Broda). Par la parole, c’est une partie du travail invisible et du rapport des sujets à leur travail qui émerge.

La mise en patrimoine
et la dimension du sens

Mise en patrimoine et production de sens sont deux pôles en tension. « Le destinataire est significatif du sens lui-même » (Jacques Broda). Comment, à quel moment, sous l’effet de quel événement, de quels encouragements, de quelle analyse réflexive, chaque étudiant, chaque enseignant, chaque intervenant à l’A.P.S.T., à la fois destinateur et destinataire, prend-il conscience d’oeuvrer à une mise en patrimoine c’est-à-dire d’en construire le sens?

Le travail du sens est une activité de liaison, de re-connaissance, de retrouvailles avec une expérience recouverte par le quotidien.

Le travail du sens est une activité de discrimination. En qualifiant, en marquant, en nommant, on cerne d’un trait ce qui vaut d’être élevé au rang de patrimoine. Jouissance d’inscrire les traces d’une histoire, de marquer des points contre l’inconnu!

Mais a contrario, au nom de quoi donner une valeur, décider du bon et du mauvais, de ce qui est « à garder » et à « à écarter »! En fonction de quelles raisons majeures, de quels projets, de quel mandat ferait-on tel ou tel choix? Que doit-on sauver de l’éphémère?

« Le sens est plus dans le jeu qui le fait naître et dans la façon dont on le cherche et dont on le fait surgir que dans la structure qui le conditionne ». (Roland BARTHES)

*  *  *

La formalisation

 

Pour être opératoire, il nous faut savoir en quoi consiste l’action de mettre en patrimoine, comment elle s’opère et sur quoi.

Nous savons que l’expérience se transforme en patrimoine si elle est formalisée, mais « le rapport de l’expérience au langage est le lieu d’un problème » (Yves Schwartz). C’est ce lieu et ce problème que nous voulons étudier. Associer mise en patrimoine et formalisation donne à cette dernière une dimension collective qui dépasse nécessairement une action individuelle voire solitaire.

Formalisation de l’expérience de formation :
qu’est-ce que formaliser ?

Tout le monde s’accorde sur la nécessité d’une formalisation, et sur le fait qu’elle existe déjà sous différents aspects.

La formation est un moment qui se prête particulièrement à la formalisation, soit que celle-ci se concrétise dans des rapports, mémoires, examens; soit qu’elle se dise au cours de discussions informelles pendant ou en marge de la formation.

Les rencontres post-formation dans des associations du type APRIT, A.P.S.T. -Contacts ou autre sont elles aussi des moments de formalisation.

A plusieurs reprises, Yves Schwartz dans sa thèse aborde la question à propos de l’expérience des travailleurs. Formaliser une situation est une activité linguistique qui « suppose un point de passage entre le concret et l’abstrait ». « … ou encore, formaliser, ce serait bien redécouvrir » (« Expérience et Connaissance du travail » Chap. 8 page 212)

La formalisation répond à un besoin « d’élaborer des outils conceptuels théoriques et méthodologiques capables d’articuler entre eux des savoirs et de les intégrer ». En tant qu’interaction, la formalisation n’est-elle pas volonté de « co-construction d’espaces communs » comme le dit Claude Chabrol à propos de « L’interaction et ses modèles » (Connexions N°57/1991-1).

Si c’est le cas, formaliser implique un dispositif de formalisation lié à

  • * l’idée de dialogie/ de destinataire / « d’interlocuteur sachant ou significatif » (N.Roelens, citée par Broda)
  • * l’idée d’interaction / compétence interactionnelle, c’est-à-dire « capacité à reconnaître, recevoir, traiter et créer des processus de communication » (A.V.Cicourel, « La sociologie cognitive », p.223, cité par Cl.Chabrol)
  • * l’idée de parité qui nous interroge, lors de la rédaction de ce mémoire, sur notre double statut d’acteurs et d’observateurs de l’A.P.S.T.

Les effets de notre statut de salariés-étudiants

Le fait d’être nous-mêmes impliqués dans le cursus de formation que notre mémoire se propose partiellement d’éclairer a présenté les avantages suivants:

Nous avons bénéficié d’un statut d’intériorité lié à « la place de pair », occupée par nous; c’est en effet à parité que nous avons réalisé les entretiens avec les anciens ou les nouveaux de l’A.P.S.T. Nous référant à l’article de Jacques Broda « Autour du lien savant », nous pouvons dire que ce n’est pas en tant que sociologues que nous « avons visé une co-construction des savoirs sur la formation », mais en tant que pairs, entre « hommes (et femmes) sachants ». De même, pour poursuivre la comparaison, la « connivence » dans une relation pourtant courte (1h30), la durée de l’entretien, venait du sentiment d’avoir vécu en des temps ou des lieux différents (ou dans les mêmes temps et lieux) des choses identiques sinon communes.

Sentiment diffus d’avoir des pans d’histoire en commun et de partager un patrimoine qui ne demande qu’à être retravaillé par tous.

Mais il nous revenait également d’aborder de manière critique et aussi réflexive que possible un objet d’étude où nous étions partie prenante, et de rompre avec notre subjectivité.

C’est ainsi que nous avons été conduits à rechercher ou à imaginer des cadres, des grilles de lecture, nous permettant de penser notre propre expérience, mais aussi de passer du particulier au général, en un mot, d’introduire « la distance épistémique » nécessaire pour aller « d’une heuristique expérientielle, c’est-à-dire une réflexion favorisant l’invention d’idées et de solutions neuves, à partir de l’expérience personnelle«  vers l’établissement et / ou le renforcement d’un « lien social, où le désir et le plaisir de transmettre (re)signifie la rencontre des hommes autour des savoirs à (re)élaborer … » (Jacques Broda).

La formalisation entre spontanéisme et réflexivité

Le travail de formalisation peut choisir des formes variées. Cependant, on peut se demander comment s’opère ou pourrait s’opérer le passage de formes spontanées de formalisation à des formes « raisonnées » qui seraient garantes de plus de scientificité.

Par exemple, les formes spontanées du récit de vie sont-elles adéquates à l’investigation du réel et à ce qu’il y aurait à dire de l’expérience ou à ce que l’expérience aurait à dire?

L’exigence de qualité, ici de scientificité, n’implique-t-elle pas pour celui qui raconte la mise à distance et l’identification des formes et des contenus: pertinence des éléments du discours et des modalités choisies pour le discours.

Un bref retour sur la mise en patrimoine

Entre formalisation et mise en patrimoine s’intercale la notion de communication. De la parole à l’écoute, nous nous trouvons confrontés à la nécessité de rendre compte de deux aspects spécifique de notre objet d’étude: la mise en lumière de mécanismes liés à la production (le récit et l’analyse de l’expérience) et à la réception (le travail du sens, donc de formalisation qu’opère à son tour l’auditeur / lecteur).

Le souci de rigueur scientifique concerne donc autant l’analyse du travail de mise en patrimoine / formalisation, que les conditions de la lecture, c’est-à-dire les grilles.

C’est pourquoi nous avons été attentive à la fois

  • à la mise en intrigue:

« Entre vivre et raconter, un écart, si infime soit-il, se creuse. La vie est vécue, l’histoire est racontée ». (Paul Ricoeur, « Du texte à l’action », p.15), ce qui implique sélection d’événements, travail du récit, et du temps.

  • au travail de jugement (attribution de valeurs, classements, hiérarchisation, le doute, l’espoir, l’expectative), à la mise en place une cohérence: construction de systèmes explicatifs et de « causalités après-coup », aux positionnements qui en résultent (eux, moi, nous / l’auto-socio-positionnement, retour sur soi) qui concernent la production.
  • aux grilles de lecture que chaque témoignage nous incitait à utiliser: l’analyse structurale du récit (schéma actanciel du conte) dans un cas, le rapport au savoir dans un autre, l’usage des concepts dans un troisième, le thème du retour dans un autre encore. Travail d’interprétation qui alimenterait un troisième pôle: l’agir, c’est-à-dire les possibles implications et conséquences de ce qui précède sur la manière de concevoir les enseignements futurs, la post-formation, etc.

« Le sens n’étant pas dans les choses ni seulement dans l’esprit puisqu’il n’est qu’un découpage particulier des choses, ne peut être que dans le point de vue qui fait exister des fragments du devenir comme configurations singulières. Il faut un choix, une « sélection » pour faire émerger de l’infini des segments individualisés ». (Yves Schwartz)

*  *  *

La dialectique formation / professionnalité

 

Nous avons dit dans l’introduction que la professionnalité serait le fil rouge de notre travail sur la mise en patrimoine dans le contexte de formation A.P.S.T.

Ce mot serait à situer dans un réseau d’autres mots comme:

  • * métier, profession,
  • * professionnalisme, professionnalisation
  • * qualification / compétences
  • * carrière
  • * expertise, expérience, maîtrise.

Le concept nous a paru fécond pour envisager la question des débouchés de la formation A.P.S.T. pour les étudiants, ou du retour sur le terrain de l’entreprise dans le cas des salariés.

Dans une première définition, nous dirons que la professionnalité d’un opérateur renvoie à une recherche de qualité, moins sous la forme d’une addition de compétences que sous l’angle de la conscience qu’il en a. Ce sont donc les traces de ce désir de qualité que nous tenterons de cerner dans les entretiens.

Mais par le concept de professionnalité, nous désignerons aussi l’influence de cette conscientisation sur l’activité de travail: une distance plus grande entre l’opérateur et son travail, la capacité à résoudre les questions rencontrées à l’aide de et en référence à des systèmes conceptuels diversifiés.

La professionnalité serait une méta-compétence qui consisterait à fonder, entretenir, développer, analyser, mettre en relation, en un mot: comprendre ses compétences et celles des autres personnes de son environnement.

La professionnalité serait donc pluridisciplinaire et supposerait de connaître et reconnaître sa position dans son champ professionnel, les marges de manoeuvre dont on dispose, les frontières qui le délimitent. Elle serait à l’articulation entre l’intérieur et l’extérieur du métier. De ce point de vue la professionnalité est un élément de la pensée stratégique.

La professionnalité pourrait être une des formes conscientisée de « l’usage de soi par soi », une façon de s’émanciper, de se désaliéner. En ce sens, elle a partie liée avec la formation A.P.S.T. qui vise à donner des outils pour complexifier et problématiser.

La professionnalité est inscrite dans une temporalité longue. Elle va de paire avec l’idée de responsabilisation (re-appropriation et fierté du travail).

Si l’on considère la répartition salariés-étudiants d’une promotion du D.E.S.S. A.P.S.T., on peut se demander si la question de la professionnalité concerne tout le monde de la même manière. Une expérience professionnelle préalable est-elle requise pour une meilleure efficacité de la formation?

Mais n’y-a-t-il pas professionnalité au sens large (fût-elle niée) dans le fait même d’être étudiant?

L’expérience des étudiants et des salariés étant différente, leur professionnalité se déclinerait autrement, même si dans l’un et l’autre cas sont à l’oeuvre les éléments suivants:

  • ° méthodologie, organisation, modélisation…
  • ° projets, adaptation, opérationnalité…
  • ° traitement de l’information et production de sens
  • ° rapport à la formation, à la certification
  • ° travail en équipe, référentiels communs ..

Par ailleurs la professionnalité est construite socialement. Travail collectif de construction d’une norme, elle rejaillit sur la prescription et amène des exigences de professionnalisme nouveau.

Horizon d’attente en termes de qualité, elle pose à chaque acteur la question du degré de conformité aux normes idéales. C’est en quoi elle peut être un levier de transformation.

O. N. (1993)