Depuis le jour

Depuis le jour
Où elle m’avait lavé
Elle gémissait
La nuit   de
soupçons
un rien

Mais
Vers lequel infiniment tendre
Vers lequel tendre infiniment
Se défiant méfiante
Des forces d’avant
La nuit
Où elle m’avait lavé

Odette Neumayer
Paru dans Filigranes n°1, Fragments, 1984

À la limite du point K

À la limite du point K
Dans le délire de l’oiseau pince
Se déroulait, original, le ruban de Möbius.
Plein de sens, est frisé de nœud,
Il contourner la belle Achiffa
Et la retenait captive.
La voyant, elle, lecture encore à faire,
Odeur à patiner, liée dans cette courbe fermée,
Le Prince Origan décida de la délier,
Le vent l’aida de sa musique
En biais.

Odette Neumayer
Paru dans Filigranes N°1, Fragments, 1984

Vient le temps

P3080924

 

Vient le temps où les plus proches nous quittent.
Amis, compagnes, compagnons partis pour l’ultime voyage,
en quel extravagant pays un jour vous retrouver ?

 

Travail obstiné de la langue,
Partage de nos mémoires,
Est-ce là le fin mot de notre histoire ?

 

(M.N. Novembre 2013)

J’ai mis Emma en chantier

J’ai mis Emma en chantier,
elle a ri et veut s’appeler Eva

Abolir facile
Le « je » docile
Si j’osais
(Partage à la lame)
Emma m’amarrer
À votre arc en cils
Servitude exquise
Fever garantie for ever

 

Ô
Délicieuse nostalgie
Du double, cachée
Derrière le rébus
Des fontaines
Dans le réseau
Des fleurs
D’eau
Dissimulée, crois-tu,
Parfaitement aux regards

 

o o o

 EVA

Fallait-il que la fêlure fut fardeau
Pour que fautive
Elles feigne ?

Fallait-il le que la fissure fut fuite
Pour que féline
Elle faut pas

Fallait-il que la fente fut fièvre
Pour que fidèle
Elle festivale ?

Fallait-il que la fente fut faim
Pour que femme
Elle folie ?

Fallait-il que la fracture fut… ?

… est ce qui n’était encore qu’une fissure allait s’élargissant. Il faudrait bien que tous écroule un jour. Blessure inscrite au cœur de la pierre
… et pourtant

o o o

IL
Femme,
Abri frais,
Follement inaccessible

Je cherche de mon sextant
Le cap chaud de ta raison
Dégrafée
Ma seule ambition, à moi
Le capitaine,
Est de venir à bout
De ta braise

ELLE
Quelques secondes de faim
Et je succombe
D’une balle absolue
Tirée au cœur

Donc,
Vénus contre-attaque !
Invitation à vivre
La fuite ou la passion ?
Voluptueuse victoire

Et je renais, Ô, bleu du ciel !
Avec juste ce qu’il faut
De peau douce

Odette Neumayer

(Ce texte fondateur, tu l’as écris lors d’un Stage Création du Secteur Poésie Écriture du GFEN. C’était à  La Bugade – Villeneuve-lès-Avignon en 1979. Repris dans Filigranes N°1, Le fragment, 1984.)

Je pose sur vous ce linceul d’amour et de mots

(Ce texte est paru dans Filigranes N°87, juin 2014) (M.N.)pieta-II

Ce sont les vivants qui ferment les yeux des mourants,
Ce sont les mourants qui ouvrent les yeux des vivants

1

quand vers le soir vient l’heure où la nef se drape de bleu et de nuit,
d’un dernier rai de lumière, votre vie détourée
ultime périmètre
lignes, courbes, plis

sous nos yeux de si peu
ciselé dans la pierre tendre
deux corps, deux chairs
deux histoires, deux destins,
mais d’archaïques désirs,
d’indéfectibles attaches
l’abime, déjà

alors
pour apaiser mon doute, pour consoler ma peine,
une dernière fois, en toi, qui fut mère, qui conçut, qui enfanta
femme parmi les femmes, je cherche
refuge, appui, consolation

mais nul miracle
disjoints             vos regards
déchiré                 l’horizon
détournés l’un de l’autre        vos corps

vers qui, vers quoi, implorant quel ciel,
tes yeux levés
femme qui fut mère, qui conçut, qui enfanta ?

2

sauvage, subtil, savant
le temps humain manœuvre,
décolle, descelle, disjoint

gisant, mon frère,
avenir sans nom, enveloppe sans adresse
de tes yeux sans fond, sans bord
sourd plus fort encore
noir, le lait de l’abandon (1)

3

au retour du voyage
quittant l’abside puis la nef
de votre dénouement
je remaille
la leçon

ombre portée sur votre ombre
je pose sur vous ce linceul d’amour et de mots
question à la question
hommage, plainte, chant
offerts à votre discordance

car

rêche         la laine de l’écriture
autrefois     si douce

violente         la langue
notre ultime    office

comme si, même si,
demain encore,
quand viendra l’heure
elle savait
– une fois encore –
nous consoler
pour ce qui, de nous, advient
dans l’autre nuit

comme si, même si,
enveloppant de silence ce qui
n’est plus,
elle nous signifiait
ligne entre les lignes
le lieu où
vivre encore

nous retrouver

M.N.
(Pour Odette, en écho à la statuaire romane
de l’église St Foy à Sélestat)

(1) Paul Celan, Todesfuge

Schwarze Milch der Frühe
wir trinken sie abends
wir trinken sie mittags und morgens
wir trinken sie nachts
wir trinken und trinken
wir schaufeln ein Grab in den Lüften
da liegt man nicht eng
Lait noir de l’aube
nous le buvons le soir
le buvons à midi et le matin
nous le buvons la nuit
nous buvons et buvons
nous creusons dans le ciel
une tombe où l’on n’est pas serré

Quand tu partis…

Quand tu partis…
nous ne savions rien encore
de la colline,
de la mer,
du ciel

rien 
des aiguilles de pin
au bord du chemin
assemblages mutiques
bâtons, chiffres, lettres

l’à venir scellé

mais toi, oui déjà !

rien 
des sentiers de pierre,
dédale tranchant
qui sépare, qui coupe
au passage du dernier col

mais toi, oui déjà !

rien 
du silence des cimes
où,
vent léger, pervers
te fit signe
l’appel de la haute mer

mais toi, oui déjà !

A présent, je te parle
Je t’interroge
Je te demande

Vois-tu
dans le bleu sans nom
le dernier phare à l’horizon
ange, corps, mémoire
figure de vent et de houle

Vois-tu son appel,
battement d’ailes ?

Oui, me dis-tu
je le vois

Cassis - copie

A présent,
je fais silence

Écrire
Te rejoindre

M.N.
pour O.

(Par les collines – De Carnoux vers Cassis et La Bédoule
Octobre 2013) – Paru dans Filigranes 86

sur l’autre versant du chemin

t’ai attendue

ne t’ai
point
vue

tu étais là pourtant
sur l’autre versant
du chemin
je le savais

987207215

 

ai poursuivis ma route
avancé sur la piste sèche
caillou parmi
les cailloux

or
soudain
te voilà

mer pâle
ce blanc manteau sur tes épaules
un voile
sur ton visage ?

SONY DSC

de ton nom
l’ovale
inscrit,

Cassis
sous le ciel de mars
corps perdu

(M.N. Mars 2014)