Rêves en bestiaire et autres fuites

Rêve de la nuit du 9 au 10 octobre 1981

Je suis avec quelqu’un. J’aperçois MR sans maquillage du tout. Ça la change.  Un homme jeune s’occupe de ses deux chiennes blanches et espiègles. Ils vont s’embarquer en mer pour une croisière. On se retrouve tous assis dans une sorte de véhicule circulaire à gradins. Derrière moi, de jeunes enfants. Je leur fais : «a bou glou ». « Ah ! Voilà ce que j’essaye de faire depuis longtemps », dit l’un d’entre-eux, reconnaissant…

Rêve de la nuit du 2 au 3 avril 1984

Cela commence avec une machine à découper les savonnettes en tranches. À produire des sortes de quilles en savon. Je ne sais faire que des tranches, pour le reste il faut mieux connaître le maniement de la machine que je ne le connais…

Rêve de la nuit du 11 au 12 août 1984

Souvenir d’un chien appartenant peut-être à Tino Rossi, un basset extrêmement gâté au point de vue victuailles. Pour lui, un violon dont le manche est en saucisson et l’archer découpe une rondelle À chaque note. Le chien est aussi en forme de saucisson monté sur pattes…

Rêve de la nuit du 26 au 27 octobre 1983

Où il est question de corriger des… sardines. En effet, dans cet établissement scolaire, ou du moins dans l’ambiance qu’il le représente, je dois corriger des sardines. Les élèves me les ont rendues. Enveloppées, étêtées, bleues dans leur papier blanc.
Et moi, je dois les goûter pour voir si elles sont bien cuites. Je commence à corriger mais se greffe là-dessus une histoire de clé, petite clé, que je ne dois donner qu’à un seul élève et que je promets à plusieurs, sans savoir exactement à qui. Finalement je reviens à mes sardines, mais je suis en retard, il est presque l’heure et cela me fait jouir pour de bon…

Rêve de la nuit du 3 au 4 août 1984

Un repas d’élève. Chacun doit me présenter sa sardine qu’il a cuite. Sans tête et sans peau. Du bout de mon ongle rose à gauche et d’un couteau à droite, comme je décolle délicatement les deux parties. Après plusieurs vérifications, je laisse tomber. Distribution de saucisses entrelardées d’un gros morceau de fromage…

La fuite. Rêve de la nuit du 18 au 19 juillet 1983

Cette nuit s’est terminée par une course-poursuite à flanc de coteaux. Toujours le même scénario : je me sens, je me crois poursuivie et je galope. Ici à travers prés, ailleurs, en ouvrant porte sur porte. Le secret, c’est que personne ne me coure après. Je me retourne plusieurs fois pour moi assurer, et pourtant, je coure.

Rêve de la nuit du 28 au 29 juillet 1984

« Je » est un garçon menacé par une bande et qui fuit avec une sorte de « moi », d’esprit protecteur. Il faut pour cela escalader une pente sableuse, qui ne se prête pas forcément à la vitesse, même qu’à mi-hauteur on redégringole. Il faut pourtant fuir, et vite ! Nous arrivons devant une porte dont la clé, cassée en deux, se trouve à un endroit où il y a habituellement un œil. C’est difficile de faire coïncider les deux morceaux, dont l’un est dans la serrure et l’autre dans la main, surtout qu’on est poursuivi et que le salut passe par ce trou…

 o o o

Rêve Fiction

Poursuivante est poursuivie
La fuite se donne à suivre
Mais
Je ne rencontre jamais
Que moi.
L’itinéraire est toujours le même
Mais
La langue m’est inconnueEt le dessein n’a pas de sens.
Étranges
Les chansons enfouies
Comme des bijoux dans des jarres
Ne seront dites que plus tard…
Quand l’eau des mots
Sera musique du rêve
Car
Il est évident maintenant
Que les portes à jamais refermées
Sont là pour être ouvertes.

31 août 1984

Rêve de rêve

Mon rêve est là, sous la langue
Sous la main
À la porte des profondeurs.

Il ne veut pas sortir
Je ne peux pas entrer
Je le vois
Il m’attend et m’échappe à la fois.

Impossible de le mettre en mots
Il ne se laisse pas faire

Je crois pouvoir le fixer
Attraper un fil conducteur
Mais je m’épuise à vouloir
Retrouvez la chimère nocturne
Elle se refuse à moi.

Odette Neumayer
Paru dans Filigrane n°3, Morceaux de rêve pris dans un coin.
1985

Depuis le jour

Depuis le jour
Où elle m’avait lavé
Elle gémissait
La nuit   de
soupçons
un rien

Mais
Vers lequel infiniment tendre
Vers lequel tendre infiniment
Se défiant méfiante
Des forces d’avant
La nuit
Où elle m’avait lavé

Odette Neumayer
Paru dans Filigranes n°1, Fragments, 1984

À la limite du point K

À la limite du point K
Dans le délire de l’oiseau pince
Se déroulait, original, le ruban de Möbius.
Plein de sens, est frisé de nœud,
Il contourner la belle Achiffa
Et la retenait captive.
La voyant, elle, lecture encore à faire,
Odeur à patiner, liée dans cette courbe fermée,
Le Prince Origan décida de la délier,
Le vent l’aida de sa musique
En biais.

Odette Neumayer
Paru dans Filigranes N°1, Fragments, 1984

L’appel des sirènes

You Tube proposait de télécharger gratuitement des documentaires. Évidemment, son regard s’arrête sur celui-là, en noir et blanc, rayé. Ce film le renvoie une fois de plus à un monde secret qui ne le quitte pas. Il sait de source sûre que sa vie a commencé là, à ce moment-là.
Il avait cinq ans à l’époque des événements. Trop tôt pour se souvenir. Juste ce tremblement que déclenche une sirène – n’importe quelle sirène – à son corps défendant. Mais, pourtant, il lui semble qu’il a tout vu ! Tout retenu ! Pas une nudité ne lui a échappé, pas un balancement, pas une gorge ouverte sur un cri. Pas un silence. Il a tout vu, tout entendu ! Même s’il ne voulait rien savoir de ce qui hantait ses nuits.
Rien savoir, mais tout comprendre encore et encore ! Tout lire sur la question, ne jamais se lasser de relire – d’ailleurs, bien malin qui peut échapper à ces livres, à ces films, à ces photos – et voilà maintenant que la vidéo s’y met !
Lui, le non témoin, voudrait témoigner pour ceux qui sont venus « après », fils et filles de cette histoire, héritiers de ce monde ravagé. Dire la terreur diffuse inscrite au plus profond, la peur que « cela », un jour, ne recommence : les alertes, le vide, l’absence au goût d’abandon, tout ce qu’un enfant ressent et n’oublie pas. Pour ne pas tourner la page, pour refuser le déni, poser l’humain, affirmer la loi, la confiance.
Il voudrait trouver un moyen de le dire à You Tube ! Ou mieux, l’écrire, mais ce n’est pas si simple de dire au-delà des mots et pourtant avec des mots.

Odette Neumayer
Filigranes N°75 « Preuves obstinées » (2009)

Cela

« Rien, au fond, ne compte que de découvrir un univers secret et invisible ou que d’être, à tout le moins, autorisé à y frapper… » Nelly Sachs

Image et sens, droit au cerveau, prennent l’âme, émeuvent aux larmes. Quoi de plus proche et de plus lointain en même temps ? Connaître à travers un mur de verre, sans jamais s’approcher, parce qu’on n’en a pas le droit, parce que cela, cette histoire leur appartient. Ils nous en tiennent à l’écart. Avec raison, ils nous épargnent l’enfer. Point aveugle de notre relation. Savoir, de source sûre et tutélaire que cela eût lieu. N’avoir pas le droit d’en parler. Cela, quand on ne l’a pas vécu, on ne peut qu’éluder, détourner l’attention du lecteur et la sienne propre par une pirouette, une plaisanterie, un textelet (comme on dit d’un roitelet, prince sans majesté). Un manteau de cendres et de froid a tout recouvert.
Peut-être, un jour, oserons-nous en soulever un coin, très vite,
avec l’intuition d’y avoir rendez-vous avec le mal absolu.

Odette Neumayer
Filigranes N°76 « Tapis de la mémoire » (2010)

Transaction

Tout se passe à table. Une toute petite table qui ne paye pas de mine, qui rapproche au lieu d’éloigner, car il s’agit d’accumuler l’inappréciable confiance, de la déposer sur un mince plateau de velours noir.
Le sel de la terre achève là son périple, dépouillé de sa gangue, lavé de sa sueur.
Le secret de famille, le cadeau d’amour, l’inestimable, le ruineux, aboutissent là, se font lorgner, peser, repousser, poser et reposer.
C’est un jeu qui se joue à deux. Plus, ce serait trop !
Les choses se préciseront dans l’après-coup, quand l’un des deux aura quitté, que le dialogue aura eu lieu, parlant de l’écart entre ce qui doit être accompli, comment il peut l’être, pourquoi il l’a été ? Un échange s’est produit, générateur d’énergie, de larmes peut-être, de projet et de soulagement.
Ce n’est pas le travail de la terre, et pourtant !

Odette Neumayer
Filigranes  N° 70 « Mondes industrieux » (2009)