L’appel des sirènes

You Tube proposait de télécharger gratuitement des documentaires. Évidemment, son regard s’arrête sur celui-là, en noir et blanc, rayé. Ce film le renvoie une fois de plus à un monde secret qui ne le quitte pas. Il sait de source sûre que sa vie a commencé là, à ce moment-là.
Il avait cinq ans à l’époque des événements. Trop tôt pour se souvenir. Juste ce tremblement que déclenche une sirène – n’importe quelle sirène – à son corps défendant. Mais, pourtant, il lui semble qu’il a tout vu ! Tout retenu ! Pas une nudité ne lui a échappé, pas un balancement, pas une gorge ouverte sur un cri. Pas un silence. Il a tout vu, tout entendu ! Même s’il ne voulait rien savoir de ce qui hantait ses nuits.
Rien savoir, mais tout comprendre encore et encore ! Tout lire sur la question, ne jamais se lasser de relire – d’ailleurs, bien malin qui peut échapper à ces livres, à ces films, à ces photos – et voilà maintenant que la vidéo s’y met !
Lui, le non témoin, voudrait témoigner pour ceux qui sont venus « après », fils et filles de cette histoire, héritiers de ce monde ravagé. Dire la terreur diffuse inscrite au plus profond, la peur que « cela », un jour, ne recommence : les alertes, le vide, l’absence au goût d’abandon, tout ce qu’un enfant ressent et n’oublie pas. Pour ne pas tourner la page, pour refuser le déni, poser l’humain, affirmer la loi, la confiance.
Il voudrait trouver un moyen de le dire à You Tube ! Ou mieux, l’écrire, mais ce n’est pas si simple de dire au-delà des mots et pourtant avec des mots.

Odette Neumayer
Filigranes N°75 « Preuves obstinées » (2009)