Dis-moi, quel est ton nom ?

They are two people in me,
I would like to be Maria
but there is The Callas
I have to live up too (…)

(Maria, by Callas, film de Tom Volf, 2017)

À Marseille, rue Breteuil, l’ancien cinéma a fait place à un immeuble, un restaurant peut-être, mais de tes sanglots encore, je me souviens. C’était hier à peine, il y a 20 ans. Nous partagions ton rire, Callas, mais était-il sincère ? Ta séduction nous ensorcela, mais feinte déjà ? Ta déconvenue ? Elle nous glaça. Au dernier air, ton désespoir, Maria, nous chavirait. Aimer encore, t’aimer encore, une dernière fois. À l’unisson ce soir-là, vers la maladie et la mort, avec toi, Violetta, nous voguions.
Nous étions deux, côte à côte, siège contre siège, à te suivre, à t’entendre, à t’admirer. Mais toi, assise à mes côtés, que pressentais-tu ? Que savais-tu déjà ? They are two people in me… Que revivais-tu ? Que partageais-tu ? (…) Puis ce désespoir qui vint, qui t’envahit, ce gouffre en toi qui s’ouvrit, une désolation par vagues, de tes sanglots encore, je me souviens, alors que d’escalier en couloir, que de Callas en Maria, que vers le jour, que vers la vie là-haut, que vers la rue, vers son indifférence, nous nous en retournions…
Je t’ai revue depuis et ce soir encore, Maria Callas sur les écrans. Les années ont passé. La salle est petite aujourd’hui, les fauteuils usés, c’est un autre cinéma que voilà. Mais à l’écran, sur ton visage, une même grâce, une même émotion en moi. Une fois encore tu chantes, tu aimes, tu te brises. Divine, tu es. Une fois encore, épuisée, tu salues la salle tandis qu’ils tournent autour de toi, s’enivrent de ton parfum, s’étourdissent à prétendre te posséder.
Vivre nous unit, vivre nous sépare. Quel est ton nom, Maria ? Quelle est ta prière, tandis que soir après soir vers ton cou si frêle, vers ta gorge si fine tu lèves encore les mains et tu les joins ? Quel est ton vœu ? Quelles larmes salées cachiez-vous, quel émoi sous l’étole carmin, tandis que d’escalier en couloir, de Callas en Maria, que vers le jour, vers la rue nous remontions ?

Guarir non è possibile /
la malattia di vivere /
sappesi com’e vera /
Questa cosa qui.

Ta maladie à vivre, notre mitoyenneté, trois notes suffisent-ils pour nous le rappeler ? Sur l’écran – mais peut-être était-ce déjà la bande annonce du film suivant – je les lus, je les entendis puis ceci, au détour du refrain, E se ti fa soffrire un pò / puniscila vivendola.…
Ces mots, je les reconnus. Cette voix aussi et le rythme rock. Paroles d’une autre idole, une pop star d’aujourd’hui. À mille lieues des tiens, mais entre vous, une même langue, un même son, un même écho. Paradis perdu.

M.N.

(Paru dans Filigranes N°98  Rejouer le monde)