« Vivre, c’est passer d’un espace à un autre,
en essayent le plus possible de ne pas se cogner »
Georges Perec
Longtemps (Dolomites – août 2017)
Lumineux été de Padola, entre les fleurs, parmi les herbes sauvages, dans l’ombre
portée d’arrêtes et de pics
– je marche –
ici ruisselle une eau très douce, d’ancienne mémoire, de prés et de bancs
– elle descend de la montagne, elle porte la vie et mais vers où l’emporte-t-elle ? –
je marche
ici est un clairière, vierge de tout bruit comme un manque, une poche de silence dans le doux soleil d’une fin d’après-midi – elle s’emplit de ce qui en ce lieu s’attarde d’anciens partages
j’écris
Longtemps nous nous sommes donnės rendez-vous
Ni l’heure, ni le lieu, ni toi, ni moi, précisément le savions
Longtemps, sur ce banc, nous nous sommes parlé
ces forêts de douce montagne, les avons parcourues
nos godillots, les avons chaussés
Longtemps, notre route, ensemble, l’avons tracée
Toi aussi, Astarté ? (Musée national de Beyrouth – sept. 2017)
Automne de Beyrouth. Je parcours le musée d’histoire, arpente les allées,
de pièce en pièce, de cartel en cartel, je passe, quand soudain…
« Surélevé sur son socle carré, ce siège votif est appelé trône d’Astarté, déesse phénicienne de l’amour. L’absence de représentation est compensée par la présence de deux sphinx ailés à tête humaine coiffés de la double couronne égyptienne dont le… » (Cartel – extrait)
ici est ton siège et son effritement (ravines du temps)
ici est ton corps et son creux en moi
un bloc taillé il y a peu encore sous les bombes,
ici est un patronyme et le crépitement de guerre qui en couvrit le nom
empreinte d’une femme
ta mise à l’abri, Astarté, sous le feu des snippers,
(quelques moellons montés à la hâte par d’improbables maçons)
ici est ton histoire poche mutique saturée de bruit
quels mots t’offrir ? que répondre au feu, au mal, éros de mort ?
Astarté, mienne
Longtemps ici nous nous sommes donnė rendez-vous
Ni l’heure, ni le lieu, ni toi, ni moi, précisément le savions
Et ce sentiment soudain qui revient, subtil surgissement,
l’enveloppe de ton corps, poussière sous mes doigts
Savoirs d’avant, vous saturez l’espace.
En vous s’obstine ce qui d’humanité nous soutient : peau, amour, arrachements
Immeuble Beit Beirut (« Healing Lebanon », expo)
« … Beit Beirut a été la maison des milices et des francs-tireurs. C’est pour cette raison que j’ai créé une installation en hommage aux disparus de la guerre civile. Transformer Beyrouth en une ville de lumière » lis-tu plus tard dans l’interview de la plasticienne…
ici est une devanture, à l’angle de deux rues, au rez-de-chaussée d’un immeuble
tavelé d’impacts, sur la vitre pare-balle, mille mots soudain font signe au passant, mille lèvres, baisers multicolores
je passe la porte, à l’accueil je monte
dans les étages, posés sur d’anciens éviers, des écrans se souviennent de guerres récentes, quelques tableaux aussi que supportent
d’improbables empilements, briques dépareillées, sacs de sable aux fenêtres et aux portes, calfeutrages
Expo, urne fêlée mais clairière déjà entre les fleurs,
parmi les herbes du jardin,
plaies vives et cendres
que l’on dépose,
dans votre pénombre, nous accueillerez-vous ?
Astarté, ici nous retrouver ?
(Au retour (Carnoux, oct. 2017)
Levée de mots,
voile jeté sur nos vies,
hauts nuages d’été.
Ce journal comme un défi,
une mémoire chaque jour à réinventer.
Quelques sèmes dans le tourbillon des vents.
M.N. (septembre 2017)
Paru dans Filigranes 97, Raison, déraisons