(Ce texte est paru dans Filigranes N°87, juin 2014) (M.N.)
Ce sont les vivants qui ferment les yeux des mourants,
Ce sont les mourants qui ouvrent les yeux des vivants
1
quand vers le soir vient l’heure où la nef se drape de bleu et de nuit,
d’un dernier rai de lumière, votre vie détourée
ultime périmètre
lignes, courbes, plis
sous nos yeux de si peu
ciselé dans la pierre tendre
deux corps, deux chairs
deux histoires, deux destins,
mais d’archaïques désirs,
d’indéfectibles attaches
l’abime, déjà
alors
pour apaiser mon doute, pour consoler ma peine,
une dernière fois, en toi, qui fut mère, qui conçut, qui enfanta
femme parmi les femmes, je cherche
refuge, appui, consolation
mais nul miracle
disjoints vos regards
déchiré l’horizon
détournés l’un de l’autre vos corps
vers qui, vers quoi, implorant quel ciel,
tes yeux levés
femme qui fut mère, qui conçut, qui enfanta ?
2
sauvage, subtil, savant
le temps humain manœuvre,
décolle, descelle, disjoint
gisant, mon frère,
avenir sans nom, enveloppe sans adresse
de tes yeux sans fond, sans bord
sourd plus fort encore
noir, le lait de l’abandon (1)
3
au retour du voyage
quittant l’abside puis la nef
de votre dénouement
je remaille
la leçon
ombre portée sur votre ombre
je pose sur vous ce linceul d’amour et de mots
question à la question
hommage, plainte, chant
offerts à votre discordance
car
rêche la laine de l’écriture
autrefois si douce
violente la langue
notre ultime office
comme si, même si,
demain encore,
quand viendra l’heure
elle savait
– une fois encore –
nous consoler
pour ce qui, de nous, advient
dans l’autre nuit
comme si, même si,
enveloppant de silence ce qui
n’est plus,
elle nous signifiait
ligne entre les lignes
le lieu où
vivre encore
nous retrouver
M.N.
(Pour Odette, en écho à la statuaire romane
de l’église St Foy à Sélestat)
(1) Paul Celan, Todesfuge