29 juin 2014

En ce jour anniversaire d’une naissance,
la tienne…


Hommages


 

À fleur d’éveil

En tout silence murmure d’une note
D’un souffle léger
Au profond de la nuit perle d’une lueur
D’un minuscule éclat
Rencontre là
Larme de mémoire dans la chair du monde

Alors
Germe une graine à fleur de terre
Perce un petit mot d’en vie d’amour
Tenace pensée sur le tapis du jardin

Vogue ton âme en présence invisible
À fleur de vie toujours à renaître
Une petite pensée.

À Odette, le 29 juin 2014,
Chantal Blanc.


Relire / relier

Pour Odette

Un plateau de théâtre plutôt nu.
Sarah lit à voix haute la lettre qu’elle vient d’écrire à Dominique, son compagnon, disparu en mer depuis plusieurs années. Elle en a écrit bien d’autres avant, mais celle-ci est particulière.

Comment savoir si tu es mort ou vivant ?

Les échos sont contradictoires. Certains voyageurs affirment t’avoir vu en des terres lointaines. D’autres ont entendu parler de naufrage, on aurait vu les débris de ton bateau sur une plage.

Le parti le plus simple, à mon avis, sera celui de la relecture. Les traces sont si nombreuses ici de ta présence : il suffit que je regarde se déformer les nuages, ou que je surprenne dans le ciel bleu la vibration plus soutenue d’un instant, tandis que se découpent à contrejour feuilles ou ramures. Je me souviens alors du désir de tes yeux quand tu les regardais.

Relire aussi, entretissés au travail harassant des jours, certaines paroles qui résonnent, ou des yeux qui s’éclairent. On ne sait pas qui a parlé, ni pourquoi quelque chose soudain a pris sens. Une voix est passée et on emporte avec soi cette goutte limpide pour les temps de soif.

Et dans le terreau obscur des nuits, il y a d’autres passages, un écran qui se déchire, une évidence entrevue, et ce repos auquel je consens, qui me répare.

Ma peau s’est faite plus poreuse depuis que tu n’es plus là : des lumières me traversent, des souffles me parcourent…

Le plus incroyable est que rien n’ait changé et que tout soit différent : le vent devient écharpe autour de mon cou, les coquillages roulés par la mer parlent de toi, les nouvelles des journaux dressent la carte de tes révoltes, de tes chantiers, comme tu disais.

Pour savoir comment continuer, je me souviens de ces cailloux que tu laissais sur ton chemin pour que d’autres les saisissent. Je les recueille et les relance plus loin.

Je vais me glisser dans les plis de ce manteau que tissait Pénélope, il y a bien longtemps, et que nous n’avons pas laissé défaire, ce manteau qui s’est enrichi de tous les parfums des terres émergées et de tous les mots qui, à travers nos cœurs et nos lèvres, se sont frayé un chemin.

Même si tu ne reviens pas, je vais continuer…

Le chœur s’avance et dit :

Ce sont les morts
qui dressent le métier
et tiennent la navette,
nous leur répondons par nos points hésitants,
nos arabesque folles,
et nos rêves bruissent dans l’étoffe.

Michèle Monte, mars 2014


Il y a dans ce texte de Pablo Neruda des mots pour toi,
des mots pour nous…

Noëlle De Smet

O no voy a morirme. 
Salgo ahora en este día lleno de volcanes 
hacia la multitud, hacia la vida. 
Aquí dejo arregladas estas cósas
 hoy que los pistoleros se pasean
con la cultura occidental en brazos,
 con las manos que matan en España
y las horcas que oscilan en Atenas
y la deshonra que gobierna a Chile
y paro de contar.
Aquí me quedo
con palabras y pueblos y caminos
 que me esperan de nuevo, y que golpean
con manos consteladas en mi puerta.

Je ne vais pas mourir.
 Je pars en ce jour rempli de volcans 
vers l’homme en foule, vers la vie.
 J’ai tout réglé. Je laisse tout ceci en ordre
 aujourd’hui que les gangsters se promènent
 avec dans les bras la culture occidentale,
 avec des mains qui assassinent en Espagne
 et des gibets qui se balancent sur Athènes
 et le déshonneur qui gouverne le Chili.
 Je cesse de conter.

Me voici
avec des mots, des peuples, des chemins 
qui à nouveau m’attendent,
et dont les mains constellées frappent à ma porte


 

 pl

Derrière les vitres
les mOts pendent en grappes
Comme des raisins murs

Ils attendent que les passants les cueillent
Au n°44 de la rue Jardon + 30,
elle en aurait eu 74
Mais elle les a O
Naissance gravée sur la pierre

Elle Orait aimé les lignes et les couleurs
qu’elle Orait portées en drapeau
Comme les couleurs de Paix
Ensemble et Liberté
Parce que ça rend fort
O elle aurait fait une photO
de son petit appareil rOse
L’oeil vif
Le sourire satisfait
Elle Orait encouragé
de mOts bien choisis
Ceux qui cherchent un territoire d’accueil
fatigués
tant de trajectoires sans arrivée

Si elle savait O
que chaque fois que je commence un atelier
Je pense à elle
A elle + M
Comme une graine-coeur de sénevé
l’air de rien
Le tronc se fait solide,
visible
Osé.

O
Elle Orait aimé ça.

Pascale Lassablière


 

Visite nocturne

Sept fois, elle a prié. Sept fois, ses suppliques se sont écrasées sur le mutisme sec de l’incommensurable : sept flaques de vide dans sept oreilles sourdes.

Alors, sans bruit, sans ombre, sans soupir, en dépit de toute prudence et de toute allégeance, elle s’est résolue, seule et sans trembler, à remonter l’abîme, à franchir à tâtons les fragiles barrières de l’invisible, à déserter la nuit sempiternelle pour celle qui n’est qu’une pause dans la lumière, celle dont les étoiles brillent comme des points de suspension… comme d’infinis ponts suspendus !

Par un hasard qui fait bien les choses, elle s’est retrouvée, transparente nyctalope, dans cette chambre familière, au pied du lit ancien où elle s’est agenouillée. Si elle avait eu encore ses yeux, elle en aurait pleuré de joie… et les aurait fermés, savourant mieux ainsi l’émotion de ces retrouvailles, méprisant la glace impassible de la grosse armoire, frottée à la cire d’abeille, qui lui refuse son reflet ! Son inconsistante présence atténue l’âcre arôme de miel qu’elle ne peut plus humer. Sans qu’elle s’en offusque, la danse aérienne de microscopiques bestioles insomniaques la transperce de ci, de là. Elle se fait légère, prête, sur le qui-vive, à s’envoler au moindre souffle. Sa face livide pâlit davantage sous les rayons de pleine lune.

Ce cher ange qui dort tout près, inaccessible et calme, comme elle voudrait l’embrasser ! Elle se penche sur cet amour. Quelque chose a frémi sous le vernis des apparences, telle une mise en garde. Le petit marmonne dans l’oreiller une parole brève et soudaine, avant de s’immerger au royaume des fées. Sa poitrine se gonfle et se vide au rythme régulier de sa respiration. Quelques borborygmes brisent encore un peu le silence… puis plus rien ! Même les songes de son garçonnet l’excluent. Prisonnière d’autres rivages, elle reste aux aguets ; elle ne connaît pas ce pays des merveilles où le sommeil le guide dans ses explorations. Comment faire ? Quelque part, tout au fond des méandres de la conscience, leurs âmes solitaires pourraient peut-être conjurer la séparation. Elle voudrait caresser ses cheveux, le prendre dans ses bras, l’appeler son chéri, lui susurrer d’autres mots tendres pour lui donner de l’espoir, de l’énergie, de l’endurance, lui insuffler ce qu’elle-même a perdu. Elle voudrait qu’il se réveille, que ses paupières s’ouvrent sur l’harmonie azuréenne de ses prunelles de poupée et que ses lèvres éclosent sur la neige pure de ses sept printemps. Elle voudrait le bleu d’un regard complice, juste l’étincelle d’un sourire entendu. Elle voudrait l’avant, l’avant dans son intégralité, l’avant sans réserve ni restriction, l’avant sans louvoyer ni négocier, même l’avant des inquiétudes et des chagrins qui masquaient le bonheur de se sentir vivante et de les vivre ensemble.

Mais non, c’est impossible ! C’est au-delà de ses forces et de ses dons. Elle ne peut rien y changer. Se retrouver là, déjà, à l’insu de tous, cachée sous les sept voiles des ténèbres, quel miracle ! On ne lui en accordera pas davantage ! Elle vient en observatrice dans la lueur des existences humaines mais ça lui déchire le cœur, ce même cœur qui ne peut plus saigner. Le décor n’a pas changé, chavirant insensiblement dans l’obsolescence. Des particules irisées, éclairant faiblement un portrait d’elle récemment mis au mur, voyagent dans cet espace clos sans lutter contre l’irréversible. Laisser aller, laisser faire, laisser les ondes se propager, se rencontrer, se détruire ou se renforcer. Ah, le supplice irrémédiable ! C’est comme dans l’avant, à la fois si proche et si lointain, quand elle regardait les films à la télé et que, malgré ses avertissements, l’héroïne du petit écran tombait chaque fois dans le piège, quitte à en mourir. Sa voix, désormais tarie dans l’aride aphonie des mondes parallèles, se fracassait alors sur la boîte à images. Derrière la vitre, les destins cathodiques, précipitant leur infortune, ne s’interrompaient pas pour si peu.

Somme toute, elle aura été exaucée : elle n’est pas revenue à elle mais est parvenue jusqu’à lui. C’est bien ce qu’elle voulait. C’est à cette idée qu’il lui faut s’accrocher. L’aurore va bientôt sortir les poings de ses draps d’or, nimbant ses bâillements de rose. Un cri de basse-cour déchirera ses langes. Sept fois résonnera l’écho. Il n’est plus assez tôt. Elle sait. Elle se résigne. Le sablier cruel s’écoule sur l’inflexible rappel du repli. Déjà ? Á regret, elle se redresse, esquisse un dernier geste flottant dans ses contours ; sa silhouette se brouille, son image s’évapore. Le flou retourne au néant. Elle a fondu, confondue avec le rêve d’enfant qui efface sa trace.

Dehors, sous ses plumetis de deuil, le froid devient humide ; le chant des coqs liquéfie les limbes. La terre noire fume. La terre noire craquelle. La terre noire se parsème de l’éternel recommencement.

Jean-Jacques Maredi


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Ceux qui ne sont plus là
Ceux qu’on attendait
Ceux dont nous nous souvenons
Ceux qui nous ont souris
Ceux qui nous ont accueillis
Ceux qui nous ont soutenus
Ceux avec qui nous nous sommes construits
Ceux qui nous ont encouragés
Ceux que nous avons estimés
Ceux qui nous ont choyés
Ceux que nous avons aimés
Ceux qui nous ont pardonnés
Ceux à qui nous avons pardonné
Ceux qui ne savaient pas que nous savions
Combien ils nous désapprouvaient
Ceux qui nous ont écoutés
Et que nous avons entendus
Ceux qui ont entendu ce que nous disions
Et que personne ne comprenait
Ceux qui écrivaient
Ceux qui lisaient ce que nous écrivions
Ceux à qui nous avons écrit et qui ont répondu
Ceux dont la présence était une réponse à notre question
Ceux qui étaient présents malgré notre errance
Ceux sur qui on pouvait compter
Ceux qui ont compté pour nous
Ceux qui donnaient sans compter
Ceux pour qui il n’y eu jamais de solde de tout compte
Ceux sans lesquels nous aurions été, seulement, seuls
Ceux à qui nous pensons
Ceux à qui nous penserons
Jusqu’à ce que l’on ne pense plus à nous.

Anne-Marie Suire


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