Suivi administratif

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Teint jaune, encre pâlie, paraphe désuet. Soixante-six ans après, il me parvint ! Un feuillet petit format, presque rien, mais une trace tout de même. Attestant, administrant la preuve que celui-dont-nous-parlons était bien, tel jour, à telle heure, passé par ce lieu, je veux dire : D.
C’était le 23 mai 1944. Ce qu’il avait dans les poches : autant dire pas grand-chose. Ce qu’il avait dans la tête ? L’imprimé ne le dit pas. Dans le cœur encore moins.
Suprême ironie : « Reçu de Monsieur B. la somme de 440 francs ». Signé : « Le Chef de la police ». Tout était en règle !
Stipulant en creux que Monsieur B. avait volontairement déposé le contenu de ses poches entre des mains non contestables et que celui-ci lui serait, évidemment, rendu.
Monsieur B. pouvait partir tranquille vers des destinations inconnues de lui. Destin aléatoire, il avait l’assurance signée que son maigre bien lui serait remis en l’état à son retour. Tout allait pour le mieux…
Et puis, deux chiffres, préfiguration de l’avenir ? L’un, 23113, souligné au crayon bleu, l’autre 4780 était le numéro du feuillet. Un troisième, plus tard, quelques jours plus tard, à l’issue d’un long voyage en train, serait fort proprement tatoué sur son avant-bras gauche à l’encre indélébile.
Pour l’heure, celui-dont-nous-parlons ne le savait pas. Pas plus d’ailleurs que ses nombreux compagnons. La cité de D., réquisitionnée depuis le 14 juillet 1940 et transformée en camp le 20 août 1941, n’allait pas les garder longtemps en ses murs.
Les Responsables avaient bien fait leur travail d’enregistrement, de classement, d’organisation. L’honneur était sauf ! On avait
le quota suffisant pour remplir les wagons, l’avant-dernier convoi pourrait partir à temps.
Là-bas, on aurait un autre type d’accueil. Des structures et des méthodes plus strictes, moins conciliantes. Des chiens, vous dis-je ! Il n’y a pas de fumées sans feu !

Odette Neumayer
Filigranes N°78

(Hommage à L.B.)