Dis-moi, quel est ton nom ?

They are two people in me,
I would like to be Maria
but there is The Callas
I have to live up too (…)

(Maria, by Callas, film de Tom Volf, 2017)

À Marseille, rue Breteuil, l’ancien cinéma a fait place à un immeuble, un restaurant peut-être, mais de tes sanglots encore, je me souviens. C’était hier à peine, il y a 20 ans. Nous partagions ton rire, Callas, mais était-il sincère ? Ta séduction nous ensorcela, mais feinte déjà ? Ta déconvenue ? Elle nous glaça. Au dernier air, ton désespoir, Maria, nous chavirait. Aimer encore, t’aimer encore, une dernière fois. À l’unisson ce soir-là, vers la maladie et la mort, avec toi, Violetta, nous voguions.
Nous étions deux, côte à côte, siège contre siège, à te suivre, à t’entendre, à t’admirer. Mais toi, assise à mes côtés, que pressentais-tu ? Que savais-tu déjà ? They are two people in me… Que revivais-tu ? Que partageais-tu ? (…) Puis ce désespoir qui vint, qui t’envahit, ce gouffre en toi qui s’ouvrit, une désolation par vagues, de tes sanglots encore, je me souviens, alors que d’escalier en couloir, que de Callas en Maria, que vers le jour, que vers la vie là-haut, que vers la rue, vers son indifférence, nous nous en retournions…
Je t’ai revue depuis et ce soir encore, Maria Callas sur les écrans. Les années ont passé. La salle est petite aujourd’hui, les fauteuils usés, c’est un autre cinéma que voilà. Mais à l’écran, sur ton visage, une même grâce, une même émotion en moi. Une fois encore tu chantes, tu aimes, tu te brises. Divine, tu es. Une fois encore, épuisée, tu salues la salle tandis qu’ils tournent autour de toi, s’enivrent de ton parfum, s’étourdissent à prétendre te posséder.
Vivre nous unit, vivre nous sépare. Quel est ton nom, Maria ? Quelle est ta prière, tandis que soir après soir vers ton cou si frêle, vers ta gorge si fine tu lèves encore les mains et tu les joins ? Quel est ton vœu ? Quelles larmes salées cachiez-vous, quel émoi sous l’étole carmin, tandis que d’escalier en couloir, de Callas en Maria, que vers le jour, vers la rue nous remontions ?

Guarir non è possibile /
la malattia di vivere /
sappesi com’e vera /
Questa cosa qui.

Ta maladie à vivre, notre mitoyenneté, trois notes suffisent-ils pour nous le rappeler ? Sur l’écran – mais peut-être était-ce déjà la bande annonce du film suivant – je les lus, je les entendis puis ceci, au détour du refrain, E se ti fa soffrire un pò / puniscila vivendola.…
Ces mots, je les reconnus. Cette voix aussi et le rythme rock. Paroles d’une autre idole, une pop star d’aujourd’hui. À mille lieues des tiens, mais entre vous, une même langue, un même son, un même écho. Paradis perdu.

M.N.

(Paru dans Filigranes N°98  Rejouer le monde)

Paix d’Astarté (Padola – Musée de Beyrouth – Beit Beirut)

« Vivre, c’est passer d’un espace à un autre,
en essayent le plus possible de ne pas se cogner »
Georges Perec

 

Longtemps (Dolomites – août 2017)

Lumineux été de Padola, entre les fleurs, parmi les herbes sauvages, dans l’ombre
portée d’arrêtes et de pics
– je marche –

ici ruisselle une eau très douce, d’ancienne mémoire, de prés et de bancs
– elle descend de la montagne, elle porte la vie et mais vers où l’emporte-t-elle ? –


je marche

ici est un clairière, vierge de tout bruit comme un manque, une poche de silence dans le doux soleil d’une fin d’après-midi – elle s’emplit de ce qui en ce lieu s’attarde d’anciens partages

j’écris

 

banc découpe1 nb

Longtemps nous nous sommes donnės rendez-vous
Ni l’heure, ni le lieu, ni toi, ni moi, précisément le savions

Longtemps, sur ce banc, nous nous sommes parlé

ces forêts de douce montagne, les avons parcourues
nos godillots, les avons chaussés

Longtemps, notre route, ensemble, l’avons tracée

 

 

 

 


Toi aussi, Astarté ? (Musée national de Beyrouth – sept. 2017)

Automne de Beyrouth. Je parcours le musée d’histoire, arpente les allées,
de pièce en pièce, de cartel en cartel, je passe, quand soudain…
« Surélevé sur son socle carré, ce siège votif est appelé trône d’Astarté, déesse phénicienne de l’amour. L’absence de représentation est compensée par la présence de deux sphinx ailés à tête humaine coiffés de la double couronne égyptienne dont le… » (Cartel – extrait)

ici est ton siège              et son effritement (ravines du temps)
ici est ton corps             et son creux en moi
un bloc taillé                   il y a peu encore sous les bombes,
ici est un patronyme       et le crépitement de guerre qui en couvrit le nom

empreinte d’une femme
ta mise à l’abri, Astarté, sous le feu des snippers,   
                                           
(quelques moellons montés à la hâte par d’improbables maçons)

ici est ton histoire              poche mutique saturée de bruit
quels mots t’offrir ?           que répondre au feu, au mal, éros de mort ?
Astarté, mienne

siège nb




Longtemps ici nous nous sommes donnė rendez-vous
Ni l’heure, ni le lieu, ni toi, ni moi, précisément le savions
Et ce sentiment soudain qui revient, subtil surgissement,
l’enveloppe  de ton corps, poussière sous mes doigts
Savoirs d’avant, vous saturez l’espace.
En vous s’obstine ce qui d’humanité nous soutient : peau, amour, arrachements

 

Immeuble Beit Beirut (« Healing Lebanon », expo)
« … Beit Beirut a été la maison des milices et des francs-tireurs. C’est pour cette raison que j’ai créé une installation en hommage aux disparus de la guerre civile. Transformer Beyrouth en une ville de lumière » lis-tu plus tard dans l’interview de la plasticienne…

ici est une devanture, à l’angle de deux rues, au rez-de-chaussée d’un immeuble
tavelé d’impacts, sur la vitre pare-balle, mille mots soudain font signe au passant, mille lèvres, baisers multicolores
je passe la porte, à l’accueil je monte
dans les étages, posés sur d’anciens éviers, des écrans se souviennent de guerres récentes, quelques tableaux aussi que supportent
d’improbables empilements, briques dépareillées, sacs de sable aux fenêtres et aux portes, calfeutrages

Version 2



Expo, urne fêlée mais clairière déjà entre les fleurs,

parmi les herbes du jardin,

plaies vives et cendres
que l’on
dépose,


dans votre pénombre, nous accueillerez-vous ?


Astarté, ici nous retrouver ?

 

 

 

 




















(Au retour (Carnoux, oct. 2017)

Levée de mots,
voile jeté sur nos vies,
hauts nuages d’été.

Ce journal comme un défi,
une mémoire chaque jour à réinventer.
Quelques sèmes dans le tourbillon des vents.

 

M.N. (septembre 2017)
Paru dans Filigranes 97, Raison, déraisons

Paradis perdu

« ¿ Adonde el paraiso,
sombra, tù que has estado ?
Pregunta con silencio »
Rafael Alberti, Sobre los angeles

 

je me souviens de toi, Orfeo, te retournant

de l’éclair qui troua le ciel                et ton cœur
de la musique qui dans la ville         battit le plein
de la sarabande qui t’encerclait      soudain
du gouffre qui sous tes pas            s’ouvrit

* * *

à la Loi d’Hadès, quoi d’autre opposer ?

deux pupilles
leur blanche colère
deux diamants purs et nus
délavés déjà d’amour défait

les tiens

* * *

je me souviens de sa main jointe à la tienne
je me souviens du fol espoir
l’outre-noir, par le chant, déjoué
ruse folle

mais elle ?
et comment du jusant
alors vous cherchiez l’échappée

* * *

puissante est la loi
vaine la requête

je me souviens de toi

à l’implacable sentence
à la tentation de la falaise
à la colère (aucun gant plus jamais retourné)
à la question

où est le paradis ?

au silence qui envahit le monde
quel répons ?

obscure mélopée
surgi de l’énigme
ton chant
dérobé

*  *  *

depuis…

retissant l’hymen,
remaillant l’absence,

jour après jour
mot après mot
de page en page
de texte en texte,

de votre nuit,
de vous, disséminées dans le noir
Eurydice

nous remontons
frêle esquif

votre halo

(le deux, est-il à ce prix ?)

M.N. (29 juin 2017)
paru dans Filigranes 96, Je peins le passage

*     « Où est le paradis ?
Ombre, toi qui a vécu,
interroge en silence »
(Rafael Alberti, Sur les anges)

Cycle

« Chaque flocon, dans la mêlée du monde.
comme frôlement de l’Autre en soi »
Claude Barrère (Filigranes N°94)

@IMG_4923

J’ai longtemps rêvé d’un texte qui pousserait sa trace à travers les paysages de la mémoire. Qui saurait dire les neiges de janvier vues du train, un monde tout de flocons qu’il y a peu encore, je traversais. Chaque cristal, chaque facette… un signe.

Appel de mémoire et quintal de plume.
Derrière la fenêtre, je l’avais cru, rêvé, espéré.

Neige 1 – Brumailles (avant)

J’ai jadis connu un chant. Comme toi, mon père, j’ai aimé un cycle.
D’une musique ancienne, j’ai chéri la mélancolie.

Ich kann zu meiner Reisen
Nicht wählen mit der Zeit
Muss selbst den Weg mir weisen
In dieser Dunkelheit (1).

Voyage d’hiver : d’une langue d’avant, d’un monde perdu – le nôtre jadis – tant d’échos, l’immobile vertige, boucles sonores sans fin rebouclées au bout du 33 tours, ton deuil creusé à même la platine du salon. Et tes yeux ?
Ce qui pique, ce qui plissait les tiens, n’était en rien la cigarette – suicidaire compagne – mais l’aiguille, sa butée obstinée aux lisières du temps, au bord de nos mémoires, de notre oubli.

Oui, à vous parents,
à votre effacement,
ce matin encore ces mots,
leur chant me relient.

Neige 2 – Flocons soudain

Vous voilà enfin, enveloppant le train, flocons de neige à saturer de lumière la campagne. Vous qui sous mes yeux dansez, de tout cela, comme d’une guigne vous vous souciez !

@P3240031Vous riez, vous vous esclaffez, vous vous cabrez. À m’étourdir, vous vous agitez. De moi-même, de l’ancien vous m’arrachez ! Cristaux qui fendez le temps, ne connaissez ni verre ni acier – nulle limite – sur ma peau vous vous posez. À de nouveaux secrets, à d’autres êtres – à quel enfoui – m’exposez-vous,  me reliez-vous ?

À la piqure du froid, premiers frissons,
forêts adolescentes d’amour et d’hiver (années d’apprentissage) ?

À la soie glacée de vos mèches, jeunes filles,
comme branches nues (à vous, délicatement m’accrocher) ?

À la page blanche réinventée.
À son mystère de souffle chaud et de buée
(d’improbables messages, sur les fenêtres, les doigts gourds,
vous imaginant, déjà j’écrivais) ?

Neige 3 – Êtes-vous seulement ?

Hier encore, signes échevelés, jaillissant, lumineux, en vain je vous attendais, parcourant les rues, longeant les berges du fleuve assoupi. Au droit de portes, aux pieds de fenêtres autrefois espérées,
je vous guettais.
Mais vous qui saturez l’espace, quelle est votre substance ? Quelle est votre durée ? Majuscules petites et grandes, capitales de la douleur,  êtes-vous seulement ?

 

Neiges 4 – Noeuds (ici)

du train à la campagne environnante
le discontinu, votre secret  
du wagon cocon au tout-monde
de l’arbre à la forêt,
l’intervalle, votre régime.
d’un être à l’autre
ce qui fait manque, fait nœud.

Neiges encore (plus tard)

quand au bout du voyage
Ô ton ultime visage
quand nos bras de l’un vers l’autre tournés
quand perdues dans le blanc, nos mains
quand tous les noms entre nous
quand tous les mots
quand échappés

toi, disséminée
égarée dans le blanc
depuis quelques temps

déjà

M.N. (paru dans Filigranes 95, Vers la surface)

(1) « Je n’ai, pour mon voyage / plus le choix du moment. / Ma voie,
seul me faut la tracer / dans cette obscurité. »
Schubert, Winterreise (sur des textes du poète Wilhelm Müller).

Cycle

« Chaque flocon, dans la mêlée du monde.
comme frôlement de l’Autre en soi »
    Claude Barrère (Filigranes N°94)

@IMG_4923 J’ai longtemps rêvé d’un texte qui pousserait sa trace à travers les paysages de la mémoire. Qui saurait dire les neiges de janvier vues du train, un monde tout de flocons qu’il y a peu encore, je traversais. Chaque cristal, chaque facette… un signe. Appel de mémoire et quintal de plume. Derrière la fenêtre, je l’avais cru, rêvé, espéré.

Neige 1 – Brumailles (avant)    

J’ai jadis connu un chant. Comme toi, mon père, j’ai aimé un cycle. D’une musique ancienne, j’ai chéri la mélancolie. Ich kann zu meiner Reisen / Nicht wählen mit der Zeit / Muss selbst den Weg mir weisen / In dieser Dunkelheit(1).  Voyage d’hiver : d’une langue d’avant, d’un monde perdu – le nôtre jadis – tant d’échos, l’immobile vertige, boucles sonores sans fin rebouclées au bout du 33 tours, ton deuil creusé à même la platine du salon. Et tes yeux ?
Ce qui pique, ce qui plissait les tiens, n’était en rien la cigarette – suicidaire compagne – mais l’aiguille, sa butée obstinée aux lisières du temps, au bord de nos mémoires, de notre oubli.Oui, à vous parents, à votre effacement, ce matin encore ces mots, leur chant me relient.

Neige 2 – Flocons soudain    

@P3240031Vous voilà enfin, enveloppant le train, flocons de neige à saturer de lumière la campagne. Vous qui sous mes yeux dansez, de tout cela, comme d’une guigne vous vous souciez ! Vous riez, vous vous esclaffez, vous vous cabrez. À m’étourdir, vous vous agitez. De moi-même, de l’ancien vous m’arrachez ! Cristaux qui fendez le temps, ne connaissez ni verre ni acier – nulle limite – sur ma peau vous vous posez. À de
nouveaux secrets, à d’autres êtres – à quel enfoui – m’exposez-vous,
me reliez-vous ?

À la piqure du froid, premiers frissons, forêts adolescentes d’amour et d’hiver (années d’apprentissage) ?
À la soie glacée de vos mèches, jeunes filles, comme branches nues (à vous, délicatement m’accrocher) ?
À la page blanche réinventée. À son mystère de souffle chaud et de buée (d’improbables messages, sur les fenêtres, les doigts gourds, vous imaginant, déjà j’écrivais) ?

Neige 3 – Êtes-vous seulement ?

Hier encore, signes échevelés, jaillissant, lumineux, en vain je vous attendais, parcourant les rues, longeant les berges du fleuve assoupi. Au droit de portes, aux pieds de fenêtres autrefois espérées,
je vous guettais.
Mais vous qui saturez l’espace, quelle est votre substance ? Quelle est votre durée ? Majuscules petites et grandes, capitales de la douleur,  êtes-vous seulement ?

Neiges 4 – Nœuds (ici)

du train à la campagne environnante
le discontinu, votre secret
du wagon cocon au tout-monde
de l’arbre à la forêt,
l’intervalle, votre régime.
d’un être à l’autre
ce qui fait manque, fait nœud.

Neiges encore (plus tard)

quand au bout du voyage Ô ton ultime visage
quand nos bras de l’un vers l’autre tournés
quand perdues dans le blanc, nos mains
quand tous les noms entre nous
quand tous les mots
quand échappés

toi, disséminée
égarée dans le blanc
depuis quelques temps

déjà

M.N.  (Filigranes 95 « L’échappée belle »)

(1) « Je n’ai, pour mon voyage / plus le choix du moment. / Ma voie,
seul me faut la tracer / dans cette obscurité. »
Schubert, Winterreise (sur des textes du poète Wilhelm Müller).

Ne dis rien

Ne dis rien

de ce que nous avons fait,
des travaux et des jours,
des départs à la campagne et des retours,
des Château de Prague, des Sirène de Copenhague,

rien des clochettes, des trèfles,
des roses trémières au bord des autoroutes,

rien des coupelles de hasard, des Baccarat profonds,
des hibiscus, des balisiers, de l’oiseau sucrier,

rien des refaisons-le-monde, des paroles échangées,
des poèmes jamais écrits, des livres toujours rêvés,

rien du fond des lacs,

rien des remontées de torrents,
des draps froissés de l’été,
des hôtels, des repas sur le pouce,
de la tramontane et du Listel,

rien des pierres un jour tombées dans le jardin,
du froid de septembre et de ce qui, plus tard, advint.

rien

ce ne sont que chaine et trame volées au regard,
notes, carnets, cahiers
sur Vélin, bible, Kraft

ne dis rien
du livre encore ouvert
sa page ultime qui l’écrira ?

ne dit rien
d’un nous effiloché
de toi, de moi,

le dernier soir venu,
qui le retissera ?

M.N.

(Filigranes N°93, Table des matières)

Journal (paru dans Filigranes N°92 – « Hors de prix »)

(extraits)

P3130230

1er août 2008
C’est maintenant, après avoir vu ce film sur Proust, que j’aurais envie d’écrire, à mon tour, pour éprouver le crissement de la plume sur le papier, m’émerveiller du roulement du stylo-bille sur la page, revenir à son bonheur d’écrire en se donnant toutes les conditions nécessaires pour pouvoir le faire : chambre calfeutrée, aménagée comme un bureau, tenue intérieure, châle sur les épaules, théière à proximité et petits biscuits pour la mémoire.
C’est maintenant que je m’interroge sur la manière dont nait un projet de cette ampleur : écrire des milliers de pages après avoir mené une vie de salon ; s’enfermer dans sa chambre pour n’en presque plus sortir ; se laisser aller à ce monde « reconstitué » minutieusement, sans craindre d’ajouter ici et là des précisions en paperolles. Qu’est-ce qui fait que tous ceux qui savent écrire ne sont pas, un jour, pris de l’irrésistible envie de s’enfermer, comme Proust dans une chambre pour y entrer en gestation d’une grande œuvre ?
Je pense qu’il serait d’abord nécessaire de se laisser aller au hasard de la pensée, sans chercher à faire beau, intelligent ; s’autoriser à « gratter », à penser par écrit, même si ces pensées n’ont rien de profond, rien d’original, rien de recherché, rien de définitif. Mais écrire, bon Dieu ! Écrire, former de lettres une phrase illogique, incroyable, fourmillante de mots inutiles, mais qui sont là, bien présents. Alors, noircir du papier. Au début, il n’y a pas encore d’histoire mais elle ne saurait tarder parce que le récit est le propre de l’homme. Et tout ce qui l’entoure, toutes les pensées qui lui passent par la tête, devraient, doivent avoir le droit d’être nommées, d’exister en dehors de celui ou celle qui écrit.
La pensée s’assèche et s’étrécit de n’être pas extériorisée, de n’être pas mise en cohérence même si rien de passionnant ne couronne ces lignes d’une satisfaction quelconque. J’y prends le risque d’y trouver, un jour, une perle ou deux à partager.

2 août 2008
Laisser courir la plume, non par une pulsion ou une nécessité intérieure, mais par une sorte de curiosité pour voir où cela mènera ;  par une sorte d’ascèse librement consentie. Toutes ces idées qui traversent un esprit, où vont-elles ? Pouvons-nous les retrouver si nous ne les fixons pas ?
Si cela était possible, j’aimerais m’y mettre, au moins « une fois par jour », mais je suis consciente de la vanité des choses. Parce que hésitation entre trouver en soi des pensées intéressantes et passer par la fiction pour opérer un détour et protecteur… Pouvoir faire comme Marcel Proust. Raconter sa propre vie en faisant celle d’un personnage légèrement décalé de lui.
Peur de la folie.…

3 août 2008
Marc le Bot, ce critique d’art rencontré à Aix-en-Provence en 1986, en juillet, lors d’une expo, Images du corps. Nous avions écouté sa conférence, acheté son livre, offert
un numéro de Filigranes, qu’il avait accepté. Plus tard, il nous avait fait parvenir une carte postale pour nous remercier et nous assurer qu’il emporterait Fili en vacances.
Quant à lui, sans le savoir, il nous avait fait ce cadeau d’une belle phrase qui nous a beaucoup fait réfléchir : « Les yeux, quand ils s’ouvrent, découpent dans le réel comme un ordre du visible ».
Cela possède les accents de l’évidence et pourtant chaque mot compte, chaque mot à côté des autres se pare d’un sens qui ne peut se saisir que parce qu’il côtoie précisément les autres et se renforce de cette proximité. (…)

O.N.

P3130233(Ce carnet d’été de toi, ré-ouvert ce jour de juillet 2015.  MN.)

Stabat mater

Notre demeure est une question. En quelle langue ancrer ce qui vient ? Où adosser le récit? Superposition de temps, mots, sèmes et sons, lettres que la page blanche appelle – invoque – convie

Davos Lac, il y a longtemps. Remontant d’Italie, saturés de soleil, habités de mille musiques encore, de mille Madone, nous y faisions halte en cette fin d’été.
L’eau du lac, longée. Suivi, le sentier qui le bordait. Nos pas, de toute part cernés de vifs parfums. Vert profond des pâturages. Boutons d’or dans l’écrin d’un théâtre alpestre. Une quiétude douce, si douce nous envahit quand, au bout de la vallée, apaisée, tu nous en fis l’aveu : un jour, si je pouvais, parmi les fleurs, sous les grands sapins – ici – est le lieu ultime où reposer, que je m’y love dans le temps long des pierres et des mousses.

 

Am Waldfriedhof. Cimetière dans les bois. Son nom, les stèles gravées, tu les aimais, redis-le nous. Elles étaient tiennes déjà.

 

Je ne voudrais parler que de ce qui fait pli et repli.
Dans la pensée et le paysage.
Dans les cœurs.
N’évoquer que ce que l’ombre une fois encore, de toi,
voudrait sceller.
Visage sur visage. Peau sur peau.
Tes yeux de khol, sel d’or entre mes doigts.

Davos Lac. J’y suis retourné cette année. On ne se baigne jamais deux fois dans la même eau. On ne fait jamais le même tour du lac. On ne parcourt jamais la même forêt. Jamais, on ne suit le même sentier. Jamais.

 

Tapis de feuilles, on y revient pourtant. On fouille et puis on lève les yeux. On cherche l’angle, la focale par où tout cela retrouver.

 

***

De la mer toute proche d’où je vous parle,
au lac qu’on découvrait alors,
des fleuves de nos premières amours à ceux du présent,
d’une forêt à l’autre,
femmes, compagnes, mères, enfants,
sèmes et sons, vos voix tremblantes,
vous mêlées.

 

Pâle était le lac ce jour-là. Sombre, la forêt. Un vent froid l’arrosait d’intermittentes pluies. Qu’importe. Da wo es war, « où cela fut » : naître, grandir, aimer est un carré encore à déchiffrer.

***

Sous votre peaux alors je m’insinue.
Mémoires enfouies.
De ce qui se cache au revers l’apparence,
– eaux, pierres, mousses –
je romps le silence, je dénoue l’entrave.
Disjoints, le ciel et la terre,
Von Wort zu Wort. Von Ort zu Ort.
D’un lieu, d’un mot, l’autre.
Langue à langue.

 

***

Stabat mater.
Ce qui nous lie, nous relie, se délie,
griffures du temps, griffures de vie,
cette matière de vous, qu’écrivant,
je cherche, je bouscule, je chéris,

femmes, compagnes, mère, l’enfant que je fus,
de votre paume, de votre main, de nos vies mêlées
séparant les mots, une fois encore, ici, je me soutiens.

M.N. (Filigranes n°92, Cela n’a pas de prix)

 

 

 

 

3 septembre 2015 (4)

Pour Odette
tant de messages, de poèmes, de musiques
ce jour de septembre, de toutes parts venus

ainsi tressons-nous à notre tour
comme une
bibliothèque dans les nuages

 (extraits des textes reçus)

Odette,
En face de moi, la mer
immense et paisible, qui se repose de l’été.
Le bleu est vert
l’eau est vert d’eau.
Je suis libre et sereine.
Tu le sais, tu fais partie des quelques personnes autour de moi ,qui m’ont amenée jusqu’ici.
Je suis libre et sereine.
Libre d’être là , maintenant, telle que je suis.
Là et maintenant.
La mer immense comme le monde.

Marianne

____

« Cara Odette, grazie per essere passata nella mia vita! Il tuo ricordo è sempre presente nei miei pensieri e cercherò di portare avanti un pezzetto delle tue idee e delle tue convinzioni sulla grande rivoluzione che può portare la diffusione dei valori dell’ E.N. So che sei vicino a tutti noi e spero che tu possa aiutaci nel nostro cammino!  Questa favola filosofica « Quel che c’è da capire » è per te.
Con infinito affetto. Cristina »

Alice capisce tutto quel che c’è da capire. Quel che c’è da capire, dicevano i grandi, è in una grossa pentola, di quelle in cui si scalda l’acqua  per  la pasta; solo che questa pentola non si può più usarla per scaldare l’acqua perché qualcuno ha avuto la bella idea di metterci dentro quel che c’è da capire. Così i grandi l’hanno nascosta in cantina, in mezzo a tane cianfrusaglie, e perché quel che c’è da capire non esca fuori e si disperda ai quattro venti l’hanno sigillata ermeticamente con del nastro adesivo e sopra ci hanno messo un ferro da stiro, una chiave inglese e un’incudine – oggetti pesanti, insomma, per tenere il contenuto al sicuro.

Alice, perciò, non si è fatta scoraggiare dalle loro precauzioni ed è andata a cercare la pentola. La cosa più difficile per lei è stata scendere in cantina: la scala è stretta e buia, e in fondo bisogna girare un angolo, e mentre si scende si ha l’impressione che dietro quell’angolo ci sia qualcosa di orribile, uno di quei mostri di cui parlano le favole – le  favole finte, voglio dire, quelle scritte per imbrogliarci e spaventarci. Prima o poi, stringendo forte i denti e chiudendo gli occhi, Alice è arrivata in fondo alla scala; e quando ci è riuscita ha subito voluto riprovarci, e ha riprovato e ancora e ancora, finché poteva farlo canticchiando e saltando i gradini a due a due. Superato l’ostacolo della scala, il resto è venuto liscio come l’olio: la porta della cantina non è chiusa a chiave, la pentola è lì in bella vista  gli oggetti pesanti che ci sono sopra non occorre sollevarli. Basta inclinare la pentola e cadono di lato; allora si tratta solo di togliere il nastro adesivo e alzare il coperchio.

Alice ha compiuto questa operazione più volte. La prima volta è rimasta sorpresa, perché nella pentola non ha trovato nulla. Ha pensato che fosse l’ora sbagliata: che forse le cose si capiscono di sera, o di notte, o la mattina molto presto quando è già chiaro ma non è comparso il sole. Così è tornata, di sera, di notte, di mattina molto presto, muovendosi circospetta con i suoi piedini leggeri per non svegliare nessuno;  ma la pentola era sempre vuota. Per un po’ Alice  rimasta delusa, e si è anche preoccupata. “Sta a vedere” pensava “che aprendo la pentola ho lasciato ve ir fuori tutto quel che c’è da capire, e ora si è disperso ai quattro venti e nessuno lo troverà più”. “Ma no” si rispondeva poi  “ci sono stata bene attenta. Non ho visto niente che usciva. E, se non ho visto niente, che cosa c’era da capire?”

Alla fine, Alice ha capito. Ha capito che i grandi avevano torto: quel che c’è da capire non si mette in una pentola, non si nasconde in cantina, perché non può venirci da fuori, non può esserci dato da un altro. Ha capito che  si capisce solo quel che abbiamo dentro, e se lo capiamo bene possiamo farlo venire fuori, e costruirci case e ponti e automobili e trattori; ma, se non capiamo quel che abbiamo dentro, fuori non c’è niente da capire.

Quando ha capito, Alice ha chiuso la pentola con il nastro adesivo e faticosamente ci ha rimesso sopra l ferro d stirare, la chiave inglese e l’incudine. Da allora passa molto tempo nella sua camera, a capire quel che ha dentro; poi esce e con quel che ha capito cambia il mondo.

Ermanno Bencivenga, La filosofia in sessantadue favole

Cristina

______

Je suis entré dans votre famille en juillet 1980 et j’ai ressenti ton énergie et ta force immédiatement. Toute entière au service de l’amour du français, langue et écriture, bonheur de partager cette langue avec tous, de l’offrir comme une flamme à ceux qui en manquent le plus.
Tu es de la même trempe que mes premiers instituteurs et professeurs qui m’ont greffé et insufflé cet amour. Viatique formidable, vivant et sacré pour entrer de plein pied dans la citoyenneté française et communier aux valeurs de la liberté, égalité et fraternité.
La fusion de votre amour a irradié comme un soleil votre travail de grands serviteurs de l’école française dans ce qu’elle a de plus beau et légitime. Merci à vous qui avaient distribué ensemble cette manne du coeur et de la langue si généreusement. Odette tu nous manques ! Nous essayons de nous montrer digne de toi, citoyens du monde !

Athanas
devenu pleinement français grâce à vous

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Sous l’histoire, la mémoire et l’oubli
Sous la mémoire et l’oubli, la vie.
Mais écrire sa vie est une autre histoire.
Inachèvement.

Paul Ricœur,  La mémoire, l’histoire, l’oubli

j'écris dans l'air pour Odette_NEWFiligranes N°90
une page augmentée (Jean-Jacques Dorio)
juillet 2015

Jean-Jacques

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La soirée de décembre

Amis pleins de rumeurs où êtes-vous ce soir
Dans quel coin de ma vie longtemps désaffecté ?
Oh ! je voudrais pouvoir sans bruit vous faire entendre
Ce minutieux mouvement d’herbe de mes mains
Cherchant vos mains parmi l’opaque sous l’eau plate
D’une journée, le long des rives du destin ! (…)

René-Guy Cadou, In Œuvres poétiques complètes, © éd. Seghers

 

Vous aviez tendu à notre solitude de vos mains bienveillantes
Quand nous marchions dans le brouillard des jours.
Nous cherchons vos visages dans la nasse des nuages,
Votre ferveur à être au monde dans les raies du soleil
Au-dessus des cimes. Vous vaquerez, souvenirs, dans la luminescence
Comme des voiliers sur la mer océane.
La main que vous avez tendue vers nous, ces jours passés,
Est l’aiguille de notre boussole.
Elle donne pour ici et ailleurs
le cap de la Bonne-Espérance…

Anne-Marie

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Merci à vous, parents, enfants et petits-enfants,
ami(e)s d’Odette

Hommage à toutes les langues du monde qui,
se souvenant de celles et ceux qui nous ont quittés
donnent forme à notre commune humanité

Merci, شكرا, Danke, Grazie, благодарю, Gracias, תודה

M.

3 septembre 2015 (3)

Pour Odette
tant de messages, de poèmes, de musiques
ce jour de septembre, de toutes parts venus

ainsi tressons-nous à notre tour
comme une
bibliothèque dans les nuages

 (extraits des textes reçus)

Les rêves dont devenus des visages habités par le temps
L’amour a jeté l’ancre
C’est sur son épaule que tu t’appuies
C’est son regard qui te porte au-delà des murs
Il t’arrache aux trous noirs
Où l’utopie s’éteint
Il file les couleurs en écheveaux serrés
Dans le noir brillant de l’encre
Il piège la lumière
Dans le temps qui infuse à travers  nos mémoires
Les mots qu’il a offerts sont terre hospitalière.

Michèle

 

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P1100875

Quand le bruit des bois tarit dans nos corps
Étonnés nous lisons cette aile de terre
Rouge, à l’ancrée de l’ombre et du silence
Nous veillons à cueillir en la fleur d’agave
La brûlure d’eau où nous posons les mains
Toi plus lointaine que l’acoma fou de lumière
Dans les bois où il acclame tout soleil et moi
Qui sans répit m’acharne de ce vent
Où j’ai conduit le passé farouche.

Edouard Glissant, Pays révé, pays réel

Christian et Marie-Claude

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Capture d’écran 2015-09-06 à 10.07.50

Chut, plus de bruit…

Cette comptine que tu m’as apprise,
Odette ma sœurette,
À Naama, sera transmise,
Grâce à toi, le temps n’a pas de prise
Et ce n’est que partie remise…

Cathy

 

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Écume de la terre dans son effort constant
De dire sa vie muette
Des reliefs ressortent chaque matin
Chaque soir des nouveaux paysages
Terre illuminée, repeinte

Teresa

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Capture d’écran 2015-09-06 à 10.11.10

Osfour, chanson de Marcel Khalifè

et sa traduction :
Un oiseau

Un oiseau se tint à la fenêtre et me dit ‘Ô petit(e)’
Cache-moi avec toi, cache-moi je vous en prie Ô petit(e)’
Je lui ai dit ‘d’où es-tu ?’. Il me dit ‘des limites du ciel’
Je lui ai dit ‘d’où viens-tu ?’. Il me dit ‘de la maison du voisin’
Je lui ai dit ‘de qui as-tu peur?’. Il me dit ‘de la cage à corbeau’
Je lui ai dit ‘où sont tes plumes?’. Il me dit ‘le temps les a emportés’
Un oiseau se tint à la fenêtre et me dit ‘Ô petit(e)’
Cache-moi avec toi, cache-moi je vous en prie Ô petit(e)’

Une larme coula sur sa joue et ses ailes se replièrent sur elles-mêmes
Il atterrit sur le sol et dit : ‘je veux marcher mais je ne peux pas
Je l’ai pris sur mon cœur, ses blessures me faisaient mal
Avant d’avoir éclaté sa prison, sa voix et ses ailes se brisèrent
Je lui ai dit ‘d’où es-tu ?’. Il me dit ‘des limites du ciel’
Je lui ai dit ‘d’où viens-tu ?’. Il me dit ‘de la maison du voisin’
Je lui ai dit ‘de qui as-tu peur?’. Il me dit ‘de la cage à corbeau’
Je lui ai dit ‘où sont tes plumes?’. Il me dit ‘le temps les a emporté’

Je lui dis, n’ais pas peur, regarde, le soleil se lève
Il regardât vers la forêt et vu une marrée de paillettes de liberté
Il vit flotter les ailes des oiseaux au-delà des hautes portes
Il a vu la forêt de vol. Sur les ailes de la liberté.
Je lui ai dit ‘d’où es-tu ?’. Il me dit ‘des limites du ciel’
Je lui ai dit ‘d’où viens-tu ?’. Il me dit ‘de la maison du voisin’
Je lui ai dit ‘de qui as-tu peur?’. Il me dit ‘de la cage à corbeau’
Je lui ai dit ‘où sont tes plumes?’. Il me dit ‘le temps les a emportés’
Un oiseau se tint à la fenêtre et me dit ‘Ô petit(e)’
Cache-moi avec toi, cache-moi je vous en prie Ô petit(e)’

Mahmoud Darwich se demande s’il est un ciel derrière le ciel, où partent les oiseaux après le dernier ciel et comment écrire au-dessus des nuages le legs des siens. Il sait que d’un ciel à l’autre, passent les rêveurs. Il aime les nuages qui imitent une volée de créatures et cherche parfois un ciel moins élevé. Un nuage dans sa main l’a blessé mais il n’oublie pas de nous engager à danser au firmament des mots.

Natalie

 

 

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Cheminer

Dans la forêt des mots
Il sculpta son langage
Sa mémoire s’allongea
Au-delà du passé

Dans l’océan des signes
Il puisa ses images
Sa vision s’ajusta
Au rythme des cités

Dans le spectacle des choses
Il creusa son sillage
L’instant ensemença
Les dunes d’éternité.

Andrée Chedid, Rythmes

album[1]

Jeannine

 

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Pas de mode d’emploi ni de consignes.
Juste quelques propositions :

Cliquer sur ce lien, fermer les yeux, monter un peu le son (… mais pas trop), incliner la tête en direction du Sud, imaginer que l’on est par exemple sur cette terrasse de Carnoux que nous connaissons tous…, respirer l’odeur des pins…, écouter…

… et revoir ce sourire malicieux sur les lèvres d’Odette qui se rappelle de ce pays qu’elle affectionnait tant.

Capture d’écran 2015-09-06 à 10.40.38Souad Massi – Raoui (vost)

Sylvain

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« LIBER » : partie vive de l’écorce où circule la sève qui nourrit – durablement – l’arbre FILIGRANES.

Par delà l’absence qui m’est douleur, et bien davantage loin de vous tous, je te dédie, Odette, ce mot majuscule, toi qui m’as accueilli d’un franc sourire à rejoindre votre précieuse Revue d’écriture(s).

« LIBER », LIBRE et LIVRE. Tout toi, chère Odette ! dans la joie comme l’adversité.
A m’unir, dans l’émotion de ce rassemblement d’amitié (où les mots d’eux mêmes finissent par se taire).

Claude

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Aux limites de l’invisible
Et de l’impalpable,
Mon cœur, dans sa double cécité,
Entend comme un écho lumineux
A ses propres battements :
Une présence qui te ressemble,
Qui, de ses milliers d’yeux solaires
Et de ses multiples mains azurées,
Participe à la magie de mon histoire ;
car, à ta façon, tu es là
Et, n’en finissant pas d’exister,
Tu résistes au néant des ténèbres sans fond
Par cette place que je te garde
Au creux de ma tendresse sereine
Qui sait qu’elle a besoin de toi
Et se nourrit du souvenir éblouissant de tes sourires
Et se repaît de cet élan émerveillé
Qui te poussait toujours vers le simple et le pur
Dans la beauté sauvage ou puérile
Que la faune et la flore semaient sur ton chemin.

Jean-Jacques M.

 

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Poème semé

Dans ta verticalité , ton regard bousculant les paraîtres,
Une invitation naissait          simple
Oser ce pas vers notre harmonie intime
Réveiller la vie
Franchir par des ponts de mots les vides
Construire  une arche
Un chemin secret…            sacré
Où quelque fois ensemble nous nous sommes égarés
Rêveurs, un instant             songeurs à tout bout de champ
Hors du temps reliant les quatre horizons
Un phare guide nos pas
Gardiens de la flamme
Nous avançons encore
Réunis par cet élan semé

Pour toi, pour nous
Olivier et Yvette

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Odette,

Comme
Une
Libératrice
Tentaculaire
Une
Rayonnante
Educatrice

Délicieusement
Exigeante

Puissante
Animatrice
Inspiratrice
Xénophile

Ô, CULTURE DE PAIX

Denis

 

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Ma chère Tatie, à 14 ans j’ai appris “Roman” sur tes conseils (…)
c’est avec toujours le cœur en joie et émue
que je me récite “Roman” et les autres…

Roman

I

On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
– Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
– On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits – la ville n’est pas loin –
A des parfums de vigne et des parfums de bière…

II

– Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon
D’azur sombre, encadré d’une petite branche,
Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche…

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête…
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête…

III

Le cœur fou robinsonne à travers les romans,
– Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l’ombre du faux col effrayant de son père…

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif…
– Sur vos lèvres alors meurent les cavatines…

IV

Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août.
Vous êtes amoureux. – Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût.
– Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire !…

– Ce soir-là…, – vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade…
– On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.

Arthur Rimbaud, Poésie

Mathilde

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ferme la porte de la classe
doucement sans faire de bruit
et pars dans le grand espace de la vie.

emporte dans tes bagages
les jolis moments de la classe des grands
et tout au long de ton voyage
n oublie jamais d être un enfant

Marie
(Un poème que j’offre à mes élèves, ton sourire entre les mots)

 

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Hier à l’Aube

Hier, à l’aube, à l’heure où ronronnait Aubagne,
Tu es partie. Vois nous, qui sommes tes enfants,
Nous allons sur les textes, les dessins, les chansons.
Jamais loin de l’école, au pied du Garlaban.

Nous marcherons ensemble guidés par nos idées,
Nous avancerons toujours, nous aidant dans la nuit.
Ensembles, fiers et droits, et nos mains pour créer,
Forts, imaginons demain, nous ne sommes qu’écrit.

Nous laisserons sur ta tombe, des bouquets de cailloux,
Nous y mettrons des voiles pour traverser nos peurs.
Quand viendra Le Grand soir, nous mettrons à nos cous
ton foulard de soie rouge, ce sera le bonheur.

Ni&Jo (&VH)

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Lettre matinale à Odette

Plus d’ordinateur, me voilà réduite, pauvre glaneuse appliquée, à écrire d’une main devenue maladroite, les mots d’esprit, les trouvailles de lecture, ces petites étoiles de la pensée qui me donnent faim de vivre.  Cela m’enrage mais je continue à lire Frédéric Blanc comme on se baigne à la rivière. Alors je te le confie : « mais à quoi ça sert d’écrire ? »

Écrire ne sert à rien mais se taire est encore pire.
Pourquoi as-tu choisi de te taire, Odette ?

C’est une question que je me pose parce que M. nous a demandé de nous souvenir de toi, ce 3 septembre. Donne-moi un peu d’imagination, j’en manque. Je la cherche ailleurs dans ces petites phrases d’Henri Frédéric Blanc par exemple quand il égratigne l’utopie, cette étoile plus grosse que les autres que tu partageais avec nous, ce futur qui nous questionne où tu es peut-être.

Il dit une chose qui fait trembler la vérité : « Le futur, il sent un peu la friture, le futur. Il faudrait l’enjamber sans se brûler les fesses. Y revenir après l’avenir, histoire de ne pas arriver trop tard ».

Même si, en bonne humaine qu’il te fallait être, ton passé « te conduisait à la crèche » – c’est aussi une belle formule de cet auteur – tu l’auras tenté l’avenir et tu m’auras permis d’être vivante quelques temps dans le sourire de Filigranes, pour conjurer notre histoire comme des humains sans rien savoir. Ce matin, tu me reviens comme ça, après l’avenir, et mon café a plus de goût.

Arlette

 

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